Birdman


À l’époque où il incarnait un célèbre super-héros, Riggan Thomson était mondialement connu. Mais de cette célébrité il ne reste plus grand-chose, et il tente aujourd’hui de monter une pièce de théâtre à Broadway dans l’espoir de renouer avec sa gloire perdue. Durant les quelques jours qui précèdent la première, il va devoir tout affronter : sa famille et ses proches, son passé, ses rêves et son ego…
S’il s’en sort, le rideau a une chance de s’ouvrir...


Ne cherchons pas midi à quatorze heures, le terme idoine est chef-d’œuvre. A peine le mois de janvier se termine que le cinéphile détient déjà sa première pépite de 2015. Après la déconvenue «Biutiful», Alejandro González Iñárritu (Babel) retrouve son art et confirme qu’il est bien l’un des trois fers de lance du cinéma mexicain au côté d’Alfonso Cuarón (Gravity) et Guillermo Del Toro (El Laberinto Del Fauno). Il n’y a strictement rien à jeter dans «Birdman» qu’on aimerait voir triompher lors de la cérémonie des Oscars, le 22 février prochain.



Tout d’abord, il y a le scénario astucieux construit comme une épopée introspective sur la condition d’acteur. Naguère, Riggan Thomson régnait sur le box-office avec sa trilogie «Birdman». Seulement, depuis qu’il a laissé le costume de ce super-héros au vestiaire, le comédien a connu une descente aux enfers. En plein creux de la vague, celui qui est devenu un has been va tenter de se refaire en montant et en jouant le rôle principal d’une pièce de Raymond Carver à Broadway. Objectif: renouer avec sa gloire perdue et retrouver une crédibilité sur la scène artistique. Plus de blockbusters pour lui mais bien le sacro-saint art de la performance.


Mais voilà, à deux jours de la première, les ennuis s’enchaînent. Outre son problème d’ego toujours pas réglé et ses nombreuses remises en question d’ordre intime sur son passé et ses rêves enfouis, l’infortuné doit composer avec une horripilante et méprisante star des planches au Moi surdimensionné venue remplacer au pied levé un histrion blessé lors des répétitions. A cela s’ajoutent son ex-femme bienveillante, sa fille toxico, son producteur stressé et sa compagne enceinte, lesquels ne lui mènent pas la vie facile. Et puis, surtout, il y a son double, ce satané Birdman, qui vient le tarabuster toutes les demi-heures pour lui dire de renoncer à Broadway et de se relancer dans le grand spectacle. 

En adoptant un point de vue ironique, Alejandro González Iñárritu propose une satire caustique, féroce et sardonique sur l’industrie cinématographique et théâtrale américaine mêlant à l’écran réalisme et fantasmagorie. Ce faisant, on ne pourra pas lui reprocher d’avoir pris des risques. Là où le Mexicain nous a amenés sur des chemins attendus lors de son dernier métrage, ici, ce dernier sort totalement de sa zone de confort. Sa mise en scène est originale, brillante voire, n’ayons pas peur des grands mots, stupéfiante. Le quinquagénaire a imaginé son film comme un long plan-séquence de deux heures - sans la moindre coupure donc. Le cinéphile appréciera d’ailleurs les nombreuses trouvailles et autres artifices de réalisation pour fluidifier l’ensemble des scènes dans un montage cohérent et redoutablement efficace. 

Les enchaînements sont irréprochables et les transitions se réalisent de façon somme toute naturelle. Plus qu’un simple gimmick de mise en scène, l’entreprise permet de coller au plus près des angoisses du protagoniste et des craintes de son entourage. On ne les quitte pas d’une semelle. Un dispositif technique plutôt malin pour suivre les affres existentielles du héros et de ses proches. Au regard de la complexité de la mise en scène, on se doute que le tournage a dû être une folle entreprise. Rien que pour cette virtuosité rarement vue sur écran, on voit mal comment Iñárritu pourrait passer à côté de l’Oscar du meilleur réalisateur. 

Mais au-delà de la dextérité purement technique, il faut également reconnaître au réalisateur la pertinence du choix de son casting ainsi que sa brillante direction d’acteur. En jetant son dévolu sur Michael Keaton pour le rôle principal, Iñárritu propose une mise en abyme des plus troublantes. Comme si, quelque part, l’acteur américain rejouait sa propre vie sur la toile, lui qui a aussi connu une longue traversée du désert en quittant la liste A des acteurs bankables une fois qu’il s’est défait de son costume de Batman dans les films de Tim Burton. Et pour accompagner le héros dans ses tourments intérieurs, le réalisateur a fait appel à un musicien chevronné. Ainsi, un solo de batterie précise l’humeur du protagoniste dans une bande-son minimaliste génialissime. Un coup de génie de la part du Mexicain! 

Formidable en Riggan Thomson, Michael Keaton - qu’il nous tarde de retrouver au premier plan dans la suite de «Beetlejuice» du même Tim Burton - mérite autant la statuette dorée que ses concurrents Benedict Cumberbatch (The Imitation Game) ou Eddie Redmayne (The Theory of Everything). La compétition s’annonce d’ores et déjà très serrée. A ses côtés gravitent d’autres acteurs sensationnels comme l’incroyable Emma Stone, l’excellent Zach Galifiankis ou encore l’extraordinaire Edward Norton dans un rôle sur-mesure. Cette distribution aux petits oignons débite des dialogues savoureux, à la fois drôles, acrimonieux et acerbes. 

Si on est quelque peu chatouillé par un épilogue superfétatoire qui traine le métrage sans trop savoir où il va, «Birdman» n’en reste pas moins un brillant exercice de style titillant les cimes du chef-œuvre absolu. Un film culte instantané, un classique à ne surtout pas manquer. 

Note:
Critique: Professeur Grant

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