Dumbo
Les enfants de Holt Farrier, ex-artiste de cirque chargé de s’occuper d’un éléphanteau dont les oreilles démesurées sont la risée du public, découvrent que ce dernier sait voler..
I. Dumbo,
l’éléphanteau aux yeux bleus
Tim Burton, Michael
Keaton, Danny DeVito, Danny Elfman, pour peu, on se croirait au début des
années nonante. Back to the 90’s ! Le retour de… « Batman
Returns » ! Et le trentenaire que vous êtes de se frotter les mains,
le filet de bave pendouillant en prime. Calmons tout de suite votre
enthousiasme débordant et prématuré. Non, vous n’avez pas fait un saut dans le
temps. Oui, vous êtes bien en 2019. Et il n’est pas question de chevalier noir
roulant en Batmobile ou de pingouin à l’allure patibulaire. En réalité, le légendaire
cinéaste hirsute a convié ses deux acteurs favoris et son compositeur attitré pour
un nouveau tour de piste en participant à la transposition cinématographique du
dessin animé « Dumbo », le célèbre éléphanteau aux yeux bleus. Un
film en prise de vues réelles commandé par l’insatiable studio aux grandes
oreilles ; on attend les prochains « Aladdin » et « The
Lion King », respectivement prévus pour les mois de mai et juillet
prochains.
II. Timothée,
la souris impresario
Ce qui choque dans cette
relecture, c’est qu’elle fait la part belle à l’humain, comme en témoigne son
récit fortement remanié. Dans l’original, les hommes étaient réduits à l’état
de silhouettes à peine identifiables. C’est l’inverse ici. Oubliez ainsi Timothée,
la petite souris malicieuse qui prend l’éléphanteau sous son aile. A la fois
conscience et impresario, ce personnage mémorable doublé en version française
par le légendaire Roger Carel est tout bonnement mis de côté ! Et, de
fait, ce sont bien les animaux qui trinquent dans cette version. Ceux-ci sont relégués
au second plan (et ne parlent pas). Ce sont bien les hommes qui se retrouvent
au centre de l’intrigue. Ce sont eux qui font avancer cette histoire à 70%
originale. Le scénariste Ehren Kruger ne retient que l’une ou l’autre scène du
Classique de 1941 le reste étant de la pure création. Entre bonnes idées, références
subtiles, maladresses et trahisons impardonnables, cette adaptation souffle le
chaud et le froid. Certes, elle fait montre de quelques atouts pour charmer le
jeune public, mais elle affiche aussi et surtout de nombreux défauts qui
devraient décevoir les plus cinéphiles d’entre vous.
III. Casey
Junior, le train du bonheur
D’emblée, le métrage vous
place sur les voies de la nostalgie et vous replonge en enfance avec la fameuse
séquence dédiée à Casey Junior, « le train du bonheur » transportant
tout le petit monde du cirque. C’est alors qu’on entend les premières notes du
fameux thème symphonique réimaginé ici par un Danny Elfman en très grande forme.
D’ailleurs, le compositeur signe avec ce film une très belle partition. Et le
spectateur de savourer pleinement cette madeleine de Proust. Bien sûr, vous ne
verrez pas les gags visuels associés à cette locomotive comme le démarrage
difficile ou encore l’essoufflement sur la montagne. Des scènes incompatibles
avec l’ambition réaliste du duo Kruger/Burton. Ces derniers laissant
uniquement au spectateur le soin d’accepter au préalable le postulat fantastique
de départ, soit un petit éléphant volant grâce à ses oreilles. Tout le reste
relève du « plausible ».
IV. Mister
Stork, la cigogne messager
De la même manière, la
séquence culte du messager volant est mise à la poubelle. Rappelez-vous, chez
Mickey, les nourrissons sont apportés par des cigognes dans un beau drap blanc.
Dans le prologue, le facteur Mr. Stork se chargeait d’apporter l’heureux événement
à Mrs. Jumbo. Comme pour Casey Jr., le réalisateur fait un clin d’œil subtil à
cette scène, juste de quoi contenter les fans de la première heure. Des adaptations
appropriées qui ne gênent guerre la lecture du film. D’ailleurs, la première
partie du métrage retranscrit plus ou moins fidèlement l’esprit du dessin
animé. Ehren Kruger n’hésite pas à reprendre quelques moments-clefs de
l’original, à l’image de l’incendie, numéro circassien spectaculaire et baptême
du feu pour l’éléphanteau. Un baptême du feu qui deviendra également un baptême
de l’air par après. Son envol étant le climax dans le dessin animé, alors que son
extraordinaire faculté est très vite dévoilée dans le film.
V. Milly
et Joe, les nouveaux venus
Mais là où l’adaptation
se prend les pieds, c’est dans la psychologie des personnages. Pour guider les
jeunes pupilles à travers le récit, le scénariste imagine deux rôles d’enfants.
Joe et Milly. Un frère et une sœur. Ces deux-là sont censés remplacer le
personnage de Timothée. « Censés » car si le premier est tout
bonnement sacrifié, la deuxième, elle, est horripilante en tenant des discours
d’adulte. On n’y croit pas une seule seconde. Quant à Colin Farrell, le père
des deux gosses dans le récit, ses actions sont dénuées de logique. Heureusement,
Tim Burton a plus d’égards pour ses protégés. Danny DeVito et Michael Keaton,
parfaits dans leurs rôles d’antagonistes, cabotinent joyeusement tandis que la
nouvelle muse du réalisateur, Eva Green (Dark Shadow, Miss Peregrine’s Home for
Peculiar Children), se montre très à l’aise dans la peau d’une trapéziste
française. Alan Arkin est fidèle à lui-même, c’est-à-dire irréprochable.
VI. Delirium
Tremens
Au-delà des séquences
susmentionnées, s’il y avait bien une scène culte à ne pas louper, c’est bien
la parade des éléphants roses. Verdict ? Sacrilège ! Trahison !
Au bûcher ! Tim Burton a vidé ce moment de toute sa substance, de toute sa
puissance, de tout son aspect hypnotisant. L’émerveillement gratuit a pris le
pas sur le delirium tremens. Oubliez cette fameuse plongée psychédélique dans
un délire cauchemardesque. Comme pour « Alice in Wonderland », le
metteur en scène a complètement édulcoré le matériau de base. Pour rappel, dans
le dessin animé, la parade prend forme suite aux errances éthyliques de Dumbo
et Timothée. S’en suit une gueule de bois carabinée. Un bad trip aussi fascinant qu’effrayant. Esthétiquement, c’est une
véritable merveille parodique du surréalisme qui rappelle les rapprochements
entre le magnat Walt Disney et l’esthète Salvatore Dali sur le film inachevé « Destino ».
Sa conception hyper graphique (les couleurs, les formes, les transformations) en
fait un chef-d’œuvre à montrer dans toutes les écoles d’animation.
VII. L’orteil
du pied de la cheville
« Great
art ! », comme disent les Américains. De quoi
nous rappeler que « Dumbo » est (avec Bambi) sans doute le dernier
film de l’âge d’or des studios Disney, soit avant les relations compliquées de l’oncle
Walt avec son entourage professionnel. Merveille de simplicité et d’efficacité
tant dans l’animation que sur le plan du storytelling
avec un enchaînement de scènes cultes (les cigognes, le train, les éléphants
roses, la comptine de la mère, les clowns-pompiers). L’émotion y est forte à
travers des scènes déchirantes au symbolisme subtil (la mère qui dodeline son
fils à travers les barreaux, le monologue sur la tolérance de Timothée qui
admoneste les corbeaux). C’est littéralement poignant. Rarement Disney a
atteint un tel sommet émotionnel : l’identification directe à ce marginal
et l’empathie qui fonctionne à merveille (on a tous des complexes). Mais
Burton, lui, n’arrive pas à l’orteil du pied de la cheville de son modèle. Le
réalisateur préférant une adaptation lisse gonflée aux CGI et à l’art/production design soigné.
VIII. Où
est l’art ?
Autrement dit, avant, les
réalisateurs, producteurs et animateurs se retroussaient les manches pour
produire une œuvre d’art. Et faisaient du cinéma le véritable septième art.
Aujourd’hui, Tim Burton et les équipes de Disney ne s’encombrent plus trop de
la démarche artistique et préfèrent penser leurs films en termes de produits
marketing à vendre à l’international. C’est pourquoi on nous refourgue un
blockbuster qui, s’il possède d’indéniables qualités techniques, n’atteint
jamais la profondeur et la perfection de l’original. Si visuellement, vous
n’aurez aucun mal à croire à ce petit pachyderme volant, vous ne verserez
aucune larme durant la projection. Car là où la version de 1941 touchait en
plein cœur, cette relecture en live action ne fait que flatter la rétine. De la
poudre aux yeux jetée vulgairement aux spectateurs. Mais le cinéphile que vous
êtes n’est pas dupe. Burton a beau essayer, il ne parvient pas à retrouver
l’équilibre parfait entre émotion, humour et fantaisie qui faisait tout le sel
du quatrième Classique de Disney.
Note : ★★
Critique : Professeur Grant
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