Nightcrawler


Branché sur les fréquences radios de la police, Lou parcourt Los Angeles la nuit à la recherche d’images choc qu’il vend à prix d’or aux chaînes de TV locales. La course au spectaculaire n'aura aucune limite...







Vous avez projeté d’aller voir le troisième «Hunger Games»? Oubliez! Vous voulez vous taper «Le Labyrinthe»? Ne déconnez pas! Vous avez envie de vous faire «Interstellar»? Oui mais non. Je sais, le tapage médiatique vous exhorte d’aller visionner tous ces longs métrages. Je comprends, il est difficile de s’intéresser aux autres films, ceux qui ne reçoivent pas autant de budget marketing ou d'attention de la part de la presse généraliste. 


Mais faites un effort, ne vous laissez pas leurrer par le matraquage publicitaire. Car quoi que vous fassiez, il y a mieux. Le «mieux» en question s’intitule «Nightcrawler», feel-bad movie par excellence. N’y allons pas par quatre chemins, c’est la petite surprise de la saison et sans aucun doute l’un des métrages incontournables de cette année. Maintenant, vous tenez votre prochaine sortie cinéma! 

Chez les Gilroy, on connaissait surtout Tony. Scénariste attitré de la saga «Jason Bourne» et auteur-réalisateur de l’ô combien excellent «Michael Clayton» avec George Clooney. Désormais, il faudra également compter avec son frère cadet, Dan. Who? Il fut co-scénariste du très beau «The Fall», chef-d’œuvre inconnu de tous que seule une poignée de cinéphiles auront vu, ou encore du plus récent «Real Steel» sur des robots boxeurs. 

Aujourd’hui, c’est donc à son tour de prendre la caméra. Et si le bonhomme se donne cette peine, ce n’est pas pour filmer une comédie romantique mielleuse comme il en sort treize à la douzaine par an. A l’instar de son big brother en 2007, lui aussi se tourne du côté obscure du genre humain avec un thriller particulièrement sombre. 

L’histoire gravite autour de la figure de Lou Bloom, un marginal sans emploi vivant de menus larcins comme le vol de cuivre qu’il tente cahin-caha de revendre. Un soir, par hasard, celui-ci assiste à un grave accident de la route. Sur place, ce dernier voit débouler une équipe de télévision filmant pour le compte d'émissions matinales de chaînes locales. Il se renseigne auprès d’un cameraman indépendant et apprend qu’on peut se faire de l’argent facilement en enregistrant le malheur d’autrui. Le bon filon. 

Très vite, Bloom s’équipe en matériel, apprend sur le terrain et s’invite dans la compétition du journalisme free-lance. Branché sur les fréquences de la police, notre apprenti serial filmeur va se lancer dans la chasse aux images exclusives, aux faits divers sanguinolents, peu importe la manière, mais pourvu qu’il soit le premier. Car Lou, arriviste, est aussi et surtout à la recherche de réussite sociale. Son objectif: la reconnaissance. Tous les procédés sont bons quitte à créer et façonner l’information. La fin justifie les moyens. 

Sous les traits de ce paparazzi du sordide qui agit pour le compte d’une directrice d’info sans scrupules et sans une once d’éthique (formidable come-back de René Russo), un brillantissime Jake Gyllenhaal au regard halluciné qui, depuis la déconvenue «Prince of Persia», enchaîne les performances avec des rôles salutaires. Rappelez-vous «Prisoners» sorti il y a un an. L’Américain est à son meilleur dans «Nightcrawler» et rappelle les De Niro et Pacino de la grande époque, lorsqu’ils ne cabotinaient pas. Vous dire! 

Avec «Nightcrawler», Dan Gilroy dresse un portrait acide de la presse de caniveau en recherche constante d’info-poubelle à balancer à son audimat, soit des téléspectateurs passifs et complices. Tout y passe: mise en scène de l’information, audience avide de sensationnalisme, pouvoir de l’image, manipulation des consciences, voyeurisme trash de la presse, déshumanisation des nouvelles, dérive des médias dits «citoyens», bafouage de la déontologie journalistique, course aux scoops les plus crapuleux, incompétence des présentateurs etc. Le tout emballé avec des dialogues au cynisme savoureux. 

Le réalisateur n’en rate pas une et pose les bonnes questions avec cette satire efficace des mass-medias qui devrait, espérons-le, intriguer la génération 2.0., submergée par la malinformation et mal armée face aux flux de «contenus» - ce qui fait parfois de ces jeunes des «cons tenus» par les réseaux sociaux dont ils ne peuvent s’extraire. A quand un cours obligatoire d’Education aux médias dans les écoles? 

Résumons. Pour une première œuvre, Dan Gilroy tutoie les cimes de la réussite. Le metteur en scène livre une charge sur l’info spectacle sise à mi-chemin entre l’entertainment pur et le film de contenus avec un véritable regard d’auteur. On pense autant à «Collateral» ou «Drive» pour les virées nocturnes qu’à David Fincher pour l’intensité du thriller haletant. L’histoire est bonne, la radioscopie des médias et l’analyse des mœurs audiovisuelles sont pertinentes, l’acteur principal est oscarisable, la bande originale électrisante, la mise en scène brillante…, bref, comme susmentionné, on tient ici l’un des meilleurs films de l’année! 

Note:
Critique: Professeur Grant

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