Le Tout Nouveau Testament


Dieu existe. Il habite à Bruxelles. Il est odieux avec sa femme et sa fille, et aime faire souffrir les humains. On a beaucoup parlé de son fils, mais très peu de sa fille. Sa fille, c’est Ea, elle a 10 ans. Pour se venger, elle a balancé par SMS les dates de décès de tout le monde. Et elle décide de quitter l’appartement familial, non sans un dernier conseil de son frère JC.



Par où commencer après un tel moment de Cinéma (oui, de grand cinéma) ? Commençons par noter que, le jour de sa sortie, soit le 2 septembre, soit le moment de la rentrée scolaire, c’est une salle comble qui a éclaté de rire à plusieurs reprises.

En effet, ‘Le Tout Nouveau Testament’ se présente comme une comédie. C’est, ajoutons-le, une comédie belge – avec toute la « belgitude » que cela implique : c’est une œuvre sans prétention, profonde, qui ne se prend pas au sérieux.. Et pourtant, malgré la philosophie « à deux balles » (‘la vie, c’est comme une patinoire’), le.la spectateur.trice fait face à des scènes pleines de sens et qui mènent à de beaux moments d’émotion. Au delà du ton philosophique, Jaco Van Dormael (‘Mr Nobody’, ‘Toto le héros’,...) aborde divers thèmes, sans y poser de jugement, mais avec un trait de naïveté.

Ainsi, on verra une dénonciation de certaines dérives de la société (l’hyper-connectivité constante permet aux protagonistes de connaître la date de leur mort) ou un début d’explication quant aux raisons des guerres de religion. À côté de ce qui va moins bien, on voit ce qui va mieux : Willy sera bien entouré pour sa fin, il y a un élan de solidarité.. D’autres questions sont abordées, telles que celle de la transidentité, du temps qui passe (que faire du reste de sa vie?), du féminisme et de la body-positive attitude, de l’égalité homme-femme (surtout concernant les compétences au travail),.. Et pourtant, les clichés sont quasi-absents dans cet éventail de personnages : on balaye le raccourci « SDF = illettré » puisque c’est bien Victor qui rédige ce Tout Nouveau Testament, et Dieu ne correspond pas à l’image que les gens s’en faisaient.
Lorsqu’Ea révèle que chacun.e a une petite musique au fond de soi, les personnages s’autorisent à faire la paix avec leur propre vie. Notons au passage la richesse des compositions originales, signées par An Pierlé
Jaco Van Dormael montre, mais sans jamais tomber dans une critique ‘tout noir ou tout blanc’ de ce qui est bien ou mal.

Pour rajouter de la légèreté, la narration s’appuie sur la voix-off d’Ea, qui greffe une dimension poétique à la structure déjà présente. Au niveau de l’image, rien de trop, rien de trop peu : la (quasi) absence d’effets spéciaux présente une image simplifiée, purifiée, poétisée (on pense notamment au ciel dans la séquence finale).

Le scénario, co-écrit par Thomas Gunzig (qui est très convaincant en cyclope), apporte à ce film sa dimension fantaisiste : parfois décapant, parfois sombre, parfois décalé, l’humour est au centre de situations quelquefois abracadabrantes.

Brillantes, exactes, drôles, dramatiques, jouissives,.. Voici quelques adjectifs pour qualifier les prestations des acteur.trice.s.
Benoît Poelvoorde, alias Dieu, a donné de sa personne pour ce rôle qu’il interprète si bien (http://www.dailymotion.com/video/x3345df_benoit-poelvoorde-a-bruxelles-pour-l-avant-premiere-du-tout-nouveau-testament_news). Une scène (qui n'aura aucun mal à atteindre le statut de ‘scène culte’) nous fait penser à une autre de ‘C’est arrivé près de chez vous’.
Pili Groyne, révélée par les frères Dardenne dans ‘Deux jours, une nuit’, est promise à un bel avenir cinématographique. Dans la retenue, sans en faire trop ni trop peu, elle nous livre une prestation divine (normal, pour la fille de Dieu...)
Yolande Moreau occupe l’espace visuel plutôt qu’auditif : elle a peu de répliques dans ce film, et tient pourtant un rôle central, qu’elle assied par l’expressivité de son visage et des onomatopées qui en disent plus long que les mots.

Ainsi, ce ‘Tout Nouveau Testament’ pourrait être considéré comme un auspice positif pour une bonne année scolaire. Il vient également s’inscrire dans le top-10 des films préférés de Choupette.

Note : 
Critique : Choupette



Autre critique, autre point de vue - 
«Le Tout Nouveau Testament» vu par le Professeur Grant:

Accompagné de critiques dithyrambiques par une presse belge qui s’exprime à l’unisson, le nouveau film de Jaco Van Dormael était des plus attendus. Il faut dire que le Bruxellois sait se faire désirer, lui qui est plutôt avare en long métrage. A son compteur cinématographique, on ne dénombre pas plus de… quatre productions en vingt-quatre ans. A ce rythme-là, autant les nommer: le chef-d’œuvre incontestable «Toto le Héros» (César du meilleur film étranger), le merveilleux mélodrame sur la différence «Le Huitième Jour» (double prix d’interprétation masculine à Cannes pour Pascal Duquenne et Daniel Auteuil), le mégalo-trip existentiel «Mr. Nobody» (trois Magritte du cinéma dont meilleurs film, réalisateur et scénario original) et donc ce «Tout Nouveau Testament» qui vient de débarquer sur les écrans.

S’il n’est pas un stakhanoviste, le cinéaste n’est pas un glandu non plus. C’est qu’il aime soigner ses œuvres. Du coup, à chaque fois que ce dernier annonce un tournage, c’est un événement en soi. A raison, au regard de la qualité de sa filmographie. Ce qu’on aime chez lui, c’est sa façon toute singulière de porter un regard sur le monde. Entre poésie et fantaisie. «Toto Le Héros», sorti dans les salles obscures en 1991, est à ce titre une œuvre remarquable, la plus belle signature de Jaco dans l’histoire du cinéma belge. Ainsi, balayons d’emblée la critique hors sujet de Clémentine Gallot, journaliste de Libération, qui s’autorise à écrire - et du coup à se décrédibiliser - que le Belge est «en pleine crise de jean-pierre-jeunettisation avancée». La pauvre, elle n’a pas vu «Toto». Il semble que son horizon cinématographique ne dépasse pas «Le Fabuleux Destin d’Amélie Poulain» (sorti, pour rappel, en 2001… soit dix ans après). Dommage pour elle.

On apprécie également l’audace dont fait preuve Jaco Van Dormael. Ce dernier est l’un des seuls réalisateurs à sortir des sentiers battus dans la morne production francophone qui semble inlassablement se répéter autour des mêmes thèmes et, en sus, sans jamais innover dans la manière de raconter ses histoires. Le cinéma de Jaco est, a contrario, inventif, original et singulier. Fidèle à lui-même, ses ambitions sont à la mesure de sa passion d’artiste. Car, en effet, plus qu’un réalisateur, Jaco s’affiche comme un esthète qui n’hésite pas à repenser le septième art et à profiter de ce médium pour emmener son audience vers des contrées insoupçonnées. Loin de la commande, celui-ci croit dur comme fer à ses projets que d’aucuns considèreraient comme casse-gueule. Et c’est tout à son honneur.

Dans cette relecture aussi blasphématoire que totalement jubilatoire de la religion catholique, on a particulièrement apprécié l’idée de départ des plus audacieuses qui consiste à faire de Benoît Poelvoorde un Dieu bruxellois dédaigneux envers le genre humain qui voit soudainement son petit monde basculé dans le chaos à cause de sa fille, compatissante et révoltée, laquelle a donné la date de mort à tous les mortels et n’a pu s’empêcher d’aller chercher six apôtres pour révolutionner le schmilblick. D’entrée de jeu, on a aimé la vision lyrique et abracadabrante de la création du monde proposée par le réalisateur et son coscénariste, le romancier Thomas Gunzig. Le tandem s’octroie de vrais moments de délires primesautiers ainsi que l’une ou l’autre envolée surréaliste bienvenue dans un scénario foisonnant et délicieusement irrévérencieux. Souvent inspiré, Jaco Van Dormael promène sa caméra dans une mise en scène à la fois fluide, artisanale et précise dont le naturel découle d’un montage habile et savant.

Toutefois, là où d’aucuns s’emballent sans retenue claironnant d’emblée au chef-d’œuvre, nous, de notre côté, nous émettons quelques réserves. Loin de l’œuvre irréprochable, ce «Tout Nouveau Testament» souffre de plusieurs tares qui nuisent à la qualité d’ensemble. De facture très inégale, le récit est plombé par une structure monotone qui se répète inlassablement. Résultat, le dynamisme du début s’essouffle assez vite et laisse place à quelques longueurs. Si l’ennui guette, l’embarras, lui, sonne carrément à la porte. Déjà brinquebalante, la narration se fatigue à nous dévoiler les historiettes des six nouveaux apôtres. Si certaines d’entre-elles passionnent, d’autres ne possèdent aucun intérêt et virent même au ridicule le plus grotesque à l’instar de l’évangile selon Catherine Deneuve. Ce qui devait susciter la réflexion sinon le rire ne provoquera, in fine, que le malaise auprès du spectateur, gêné de n’avoir ni rigolé, ni été touché par ce grand n’importe quoi.

Là où d’ordinaire Jaco Van Dormael évite le mauvais goût, ici, le metteur en scène saute dedans à pieds joints et éclabousse sa pellicule d’une esthétique new age aussi kitsch que douteuse. Certes, les moyens ne sont pas énormes, mais on a connu le Bruxellois nettement plus inspiré avec un portefeuille bien plus maigrelet. Cédant par moment à une certaine facilité et succombant aux sirènes du tout numérique, ce dernier semble ne pas se soucier de heurter la rétine de son audience, laquelle se voit, en fin de métrage, affublée d’un vilain coquard au visage. On est ainsi embarrassé de voir le réalisateur, certes généreux et débordant d’imagination, se perdre dans ses excès. Si «Le Tout Nouveau Testament» ne nous a pas entièrement convaincu, parce que pas assez abouti à la fois sur le fond et sur la forme, cela ne doit pas vous empêcher de découvrir ce qui reste malgré tout un ovni sans nul autre pareil dans la production cinématographique actuelle.

Note: 

Critique: Professeur Grant

Commentaires

  1. Moins bon que ses précédents films, j'en conviens... mais tellement meilleur que les autres productions belges!

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