Sicario


La zone frontalière entre les Etats-Unis et le Mexique est devenue un territoire de non-droit. Kate, une jeune recrue idéaliste du FBI, y est enrôlée pour aider un groupe d’intervention d’élite dirigé par un agent du gouvernement dans la lutte contre le trafic de drogues. Menée par un consultant énigmatique, l'équipe se lance dans un périple clandestin, obligeant Kate à remettre en question ses convictions pour pouvoir survivre.





Attention, film coup de poing! Écrivons-le sans détours, depuis le «Traffic» de Steven Soderbergh, il y a pile-poil quinze ans, on n’a plus jamais vu un long métrage aussi maîtrisé sur la thématique des cartels. Un paradoxe tant le sujet est des plus cinématographiques. Une tripotée de réalisateurs s’y sont essayés. D’aucuns y ont laissé des plumes. D’autres s’y sont tout simplement cassés les dents. Dernier en date: le doyen Ridley Scott et le bien nommé «Cartel», soit, pour ceux qui l’ont loupé, un navet de tout premier choix.


Aux commandes de ce «Sicario» qui a fait sensation sur la Croisette en mai dernier, Denis Villeneuve. Portrait-robot du bonhomme: en substance, le réalisateur québécois le plus intéressant et le plus prometteur de cette dernière décennie, bien au-dessus de la mêlée dans laquelle on retrouve Jean-Marc Vallée (le très bon «Dallas Buyers Club», c’est lui, le très mauvais «Wild», c’est lui aussi), Philippe Falardeau (papa de «Monsieur Lazhar» et «The Good Lie»), François Girard (auteur de «The Red Violon», «Silk» ou «Boychoir») ou encore le surestimé Xavier Dolan (Mommy, J’ai tué ma mère), chouchou de la presse bobo-parisienne.

Avec «Sicario» (sicaire en français, entendez tueur à gages), Villeneuve nous plonge dans l’enfer des narcotrafiquants mexicains. Une immersion sans concession dans les méandres du trafic de drogue. On se retrouve en apnée, dans une guerre où l’horreur n’a plus de limite, où la violence monte crescendo jusqu’à un paroxysme insoutenable. Le spectateur retient son souffle. L’oxygène vient à lui manquer. La cause? Une mise en scène nerveuse, implacable, qui fait bouillir l’adrénaline. Avec son sens aiguisé de la réalisation, le cinéaste fait montre d’une redoutable efficacité. Il faut voir la séquence d’exfiltration d’un prisonnier établi dans la cité corrompue de Juarez, l’une des villes les plus dangereuses du monde. Intense! Une véritable leçon de mise en scène.

Il faut préciser que le Canadien n’a pas son pareil pour installer des ambiances oppressantes. «Incendies» ou «Prisoners, deux joyaux repris de sa filmographie, sont là pour corroborer cette assertion. L’atmosphère inquiétante est omniprésente. Cette dernière est amplifiée par un travail extraordinaire sur le montage sonore. Aidé, en sus, par une bande musicale au diapason signée Jóhann Jóhannsson (à qui on aurait donné l’Oscar, en mars dernier, pour sa très belle partition sur «The Theory of Everything»), Denis Villeneuve parvient à tenir son audience dans un climat électrisant, sous tension. On le voit, ce dernier sait s’entourer. Outre le compositeur susmentionné, le Québécois poursuit sa collaboration fructueuse avec le chef op’ légendaire Roger Deakins (Skyfall), lequel shoote les plaines viciées de la frontière américano-mexicaine comme personne.

C’est dans cette zone de non-droit à la merci des cartels que l’opiniâtre Kate Macer (Emily Blunt ne nous décevra donc jamais!) est invitée à suivre une équipe d’intervention d’élite dirigée par l’énigmatique Matt Graver (Josh Brolin, convaincant) et son partenaire laconique Alejandro (Benicio Del Toro, terrifiant). Objectif: faire tomber un baron de la drogue. Forcément, on pense à «Zero Dark Thirty» de Kathryn Bigalow. Le personnage incarné par Emily Blunt étant la cousine de celui joué par Jessica Chastain.

Sauf que là où le film sur la traque de Ben Laden racontait finalement une victoire, ici, la production montre l’incapacité des autorités à faire face aux réseaux des narcotrafiquants. La morale n’a plus de protecteur dans une société où les limites sont sans cesse repoussées. La fin justifie les moyens dans un monde où l’on accepte encore la loi du talion. Villeneuve faisant un constat accablant: l’espoir ne survivra pas. «Tant qu’il y aura 20% de la population qui consomme de la drogue, il y aura toujours des cartels pour en produire».

Si le scénario manque quelque peu d’épaisseur - notamment en termes de thématiques et de points de vue - pour justifier les deux heures de métrage, au final, «Sicario» n’en reste pas moins une petite claque. Saisissant!

Note: 
Critique: Professeur Grant

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