10 Cloverfield Lane
Une jeune femme se réveille dans une cave après un accident de voiture. Ne sachant pas comment elle a atterri dans cet endroit, elle pense tout d'abord avoir été kidnappée. Son gardien tente de la rassurer en lui disant qu'il lui a sauvé la vie après une attaque chimique d'envergure. En l'absence de certitude, elle décide de s'échapper...
Peut-on effacer l’ardoise après une déconvenue artistique ? Peut-on réellement faire tabula rasa du passé et en même temps légitimer une certaine continuité ? Oui, aussi paradoxal que cela puisse être. Plutôt que de produire une «sequel» classique à la déroute que fut l’irregardable found footage «Cloverfield» (!), J.J. Abrams et toute sa clique de la société de production Bad Robot ont préféré miser sur une suite «spirituelle», indirecte. Ainsi, «10 Cloverfield Lane» aurait un lien de sang avec son prédécesseur en racontant une histoire parallèle, avec d’autres personnages issus du même univers, soit le «Clover-verse».
Tout comme le film de
2008, celui-ci a également été conçu dans le plus grand des secrets. Deux mois
à peine avant sa sortie US, celui-ci se faisait connaître au travers d’une
promotion rondement menée (bande-annonce énigmatique, poster étrange, marketing
viral réussi), certes un brin chiche - et tant mieux, la surprise n’en est que
plus grande -, mais hyper efficiente préservant avec doigté un certain mystère
cher à l’ami Abrams. En deux mots: une jeune femme se réveille dans une cave
après un accident de voiture. Ne sachant pas comment elle a atterri dans cet
abri antiatomique, celle-ci pense tout d’abord avoir été kidnappée. Son geôlier
tente de la rassurer en lui disant qu’il lui a sauvé la vie après une attaque
chimique d’envergure. Mais peut-elle lui faire confiance. Est-il le sauveur
qu’il prétend ou un pervers qui se cache ?
De ce postulat très
simple mais ultra efficace, le jeune réalisateur Dan Trachtenberg (un nom à
suivre!) accouche d’un formidable huis-clos entretenant joliment le suspense
1h30 durant. A la fois intrigant et haletant, son premier film est une vraie
réussite dans un cinéma de genre qui peine à se renouveler. Bien plus qu’une
série B habile, «10 Cloverfield Lane» est un thriller psychologique angoissant
à perdre haleine. Le metteur en scène prend un malin plaisir à déjouer les
attentes du spectateur, non sans une certaine malice. Ce dernier met nos
émotions sens dessus dessous en soignant l’atmosphère paranoïaque qui règne
dans ce bunker. A l’instar de la jolie découverte Mary
Elizabeth Winstead, le spectateur est pris au piège dans son ignorance: le
danger est-il dehors ou à l’intérieur ? Par ailleurs, la tension est
rendue palpable grâce à d’ingénieuses ruptures de rythme. Celles-ci créent une
dynamique dans le malaise (les scènes de juke-box).
Tout l’intérêt du film
réside donc dans cette ambiance malsaine, laquelle est amplifiée par le jeu
extraordinaire de John Goodman. Son interprétation pleine d’ambiguïté est
l’atout premier de cette petite production (5 millions de dollars de budget,
«Cloverfield» a coûté cinq fois plus) qui doit beaucoup à ses trois comédiens.
Trois ? De fait, un autre compagnon d’infortune est présent dans le bunker;
il est interprété par le toujours très bon John Gallagher Jr. qu’on a adoré sur
grand écran dans «State of Grace» et sur la petite lucarne dans «The
Newsroom». Mais voilà - car il y a un «mais» -, au trois-quarts du
métrage, le récit part en cacahuète. Là où Trachtenberg parvenait
à maîtriser son métrage à chaque plan – le jeune cinéaste fait montre d’une
dextérité exemplaire dans l’art de la mise en scène, on en veut pour preuve le
prologue – ce dernier se loupe complètement dans l’épilogue. La faute à un climax
farfelu.
Jusque-là intime et
mystérieux avec une réalisation futée et inventive qui nous rend compte de
l’espace confiné, le film se mue dans le dernier quart d’heure en blockbuster effarant
et trop démonstratif annihilant toute idée de cohérence avec le reste.
L’invraisemblable supplante le réalisme avec une aisance qui force
l’indignation. Du chef-d’œuvre espéré, on bascule alors dans le produit formaté
pour mangeurs de pop-corn décérébrés. Le traitement subtil et intelligent est
mis en sourdine pour favoriser un twist final prétexte à un déballage
d’effets-spéciaux assommants. C’est désolant. Too much même! On frise le
n’importe quoi général et, in fine, ça entache considérablement l’œuvre. On ne
peut s’empêcher de se demander à quel point J.J. Abrams est-il responsable de
cette tournure grotesque, lui qui peine souvent à canaliser son sens de la
démesure.
En substance, le
constat est tout aussi réjouissant qu’accablant: «10 Cloverfield Lane» est assurément
un excellent thriller… à l’épilogue totalement manqué. Dommage, on aurait bien
décerné un 5/5 à ce premier film prometteur…
Note: ★★★★
Critique: Professeur Grant
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