Loro



Il a habité nos imaginaires par la puissance de son empire médiatique, son ascension fulgurante et sa capacité à survivre aux revers politiques et aux déboires judiciaires. Il a incarné pendant vingt ans le laboratoire de l’Europe et le triomphe absolu du modèle libéral après la chute du communisme.

Entre déclin et intimité impossible, Silvio Berlusconi incarne une époque qui se cherche, désespérée d’être vide.







I. Bunga-bunga

Une coquille vide ! Voilà ce qui vous attend avec ce soi-disant portrait au vitriol de Silvio Berlusconi. On est aux antipodes de la diatribe sardonique voulue ou du factum à charge espéré du nabab italien. Paolo Sorrentino fait montre de tout son savoir-faire pour livrer des images léchées, des tableaux de toute beauté. D’accord. Formellement, c’est vrai, ça claque, ça pétille, ça scintille, bref, ça en met plein les mirettes. Mais il ne suffit pas d’une mise en scène pop et boursouflée, d’un montage sous amphétamine, de bimbos dénudées qui se trémoussent dans des bacchanales endiablées, d’une bande-son pêchue et d’acteurs impressionnants (mention spéciale tout de même à Toni Servillo et Riccardo Scamarcio) pour aboutir à un bon film.

Tout ce que parvient à réaliser le cinéaste, c’est donner vie aux bunga-bunga en faisant de l’épate avec des effets de manche et un budget mirobolant. De quoi satisfaire sa propre vanité. Car sur le plan scénaristique, ce « Loro » est un véritable pétard mouillé particulièrement creux. L’ambition ? Un libelle façon poil à gratter censé nous irriter la peau. Résultat, pas de quoi prendre rendez-vous chez le dermato. C’est à peine si cette satire nous chatouille les orteils. Car une fois qu’on enlève péniblement les trois surcouches de vernis, il ne reste plus rien. Ce - beaucoup trop - long métrage ne raconte rien, strictement rien, sur l’ex-chef d’Etat et son entourage (liens avec la mafia, accusations de corruption, la déliquescence de l’Italie vue comme une foire d’empoigne des intérêts privés etc.).

II. Vérités de La Palice

Sur le plan politique, c’est catastrophique. Le réalisateur balaie d’un revers de la main toute référence pertinente aux années d’exercice dans la fonction de Presidente del Consiglio dei Ministri. Sur le plan médiatique, à peine aborde-t-on la mainmise sur les chaînes de télévision. Et sur le plan humain, le metteur en scène se contente d’une caricature facile et attendue. Il Cavaliere est un homme à femmes et un menteur invétéré, oui, d’accord, on le savait. Mais qu’apporte Sorrentino en sus ? Qu’ajoute-t-il à ces vérités de La Palisse ? Niente ! En livrant un tel objet vide de sens, le Napolitain ne rend pas justice aux victimes, aux laissés-pour-compte et, de manière générale, aux Italiens. Ceux-ci méritaient mieux que ce ramassis de lieux communs tourné comme un clip MTV.

Et le plus dérangeant, c’est lorsque le réalisateur acclamé - mais surestimé - de « Youth », « Il Divo », « This Must Be The Place » et « La Grande Bellezza » évoque le drame de l’Aquila (tremblement de terre de 2009). Ça tombe comme un cheveu dans la soupe. Non seulement cet épisode tragique n’a strictement rien à faire en plein milieu de cette orgie (dans le genre gênant, on ne fait pas mieux), mais en plus il ne sert pas du tout le récit aux prétendues ambitions pamphlétaires. Egalement auteur, le quadragénaire s’est complètement loupé en conduisant un scénario d’une vacuité consternante. Sans doute a-t-il trop forcé sur le rail de coke pour penser qu’un tel écrin superficiel à la vanité du magnat s’échinant à rester jeune à plus de septante piges puisse intéresser le grand public. Naïf.

III. Aussi clinquant que futile

Cela émis, on peut lui trouver des circonstances atténuantes. Alors que le projet est diffusé en diptyque dans la Botte (Loro 1 et 2, d’une heure quarante chacun, sont sortis simultanément au printemps dernier), la distribution se fait en un seul morceau d’une durée fleuve de deux heures trente à l’international. Et ça se ressent tant le montage devient épileptique et ne raconte plus grand-chose. Une conséquence visible essentiellement durant la première partie du film. Peut-être faudrait-il reconsidérer cette œuvre dans son entièreté lors de sa sortie en Blu-ray ? Sans doute. Une chose est sûre, en l’état, cette version hors Italie ne fonctionne pas.

Reste alors une belle parure flattant la rétine du tout-regardant. Aussi clinquant dans la forme que futile dans le fond. Notre conseil : mieux vaut revoir le documentaire corrosif et édifiant « Draquila : L’Italia che trema », nettement plus pertinent sur la politique berlusconienne. Egalement téléaste, on pardonnera aisément à Paolo Sorrentino cette incartade cinématographique une fois qu’on aura découvert la suite de sa série papale « The Young Pope », intitulée « The New Pope », toujours avec ce bon vieux Jude Law en tête d’affiche. Habemus papam !

Note : 

Critique : Professeur Grant

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