Tenet
Muni d'un seul mot – Tenet – et décidé à se battre pour sauver le monde, notre protagoniste sillonne l'univers crépusculaire de l'espionnage international. Sa mission le projettera dans une dimension qui dépasse le temps. Pourtant, il ne s'agit pas d'un voyage dans le temps, mais d'un renversement temporel…
Introduction :
on ne va pas vous divulgâcher le plaisir (c’est promis !)
Haletant, fascinant,
trépidant, exaltant… On ne sait plus trop quoi écrire au sortir de notre
critique de « Tenet », la nouvelle fantaisie paraphée Christopher
Nolan. Du coup, le mieux que vous puissiez faire, c’est d’aller jeter un coup
d’œil à notre compte-rendu en dix points. Et comptez sur nous pour ne rien vous
divulgâcher (promis, juré, craché !). C’est par ici que ça se passe :
I. Tenet
v Covid
Sortira ? Sortira
pas ? Jamais un long-métrage n’aura cristallisé autour de lui une telle
attente. Rares sont les films qui ont pu bénéficier d’autant d’articles de
presse avant même leur sortie. Une publicité gratuite et bienvenue sur laquelle
la maison de production Warner Bros s’appuie pour bâtir la stratégie
promotionnelle censée accompagner dans le monde entier le seul tentpole movie estival, « Tenet »,
le nouveau projet abstrus du visionnaire Christopher Nolan. Une campagne
marketing savamment pensée et constamment renouvelée au rythme de l’actualité
liée à la propagation du Covid-19.
II. Mystère
et boule de gomme
C’est que le studio n’a
pas le droit à l’erreur avec sa nouvelle superproduction estimée à plus
de 200 millions de dollars de budget. Il s’agit de ne pas se louper,
d’autant plus qu’il n’y a aucun précédent à cette situation extraordinaire.
Contrairement aux adaptations (comics, remakes, reboots, suites…), il n’y a pas
de formule toute faite pour vendre une œuvre dont le réalisateur met en sus un
point d’honneur à ne rien dévoiler afin de conserver précieusement le mystère
qui entoure le récit et, par-delà, garantir l’expérience inédite en salles, et si
possible en Imax, format privilégié par le cinéaste.
III. Film
messianique
Un véritable casse-tête
pour la major qui a finalement opté
pour des sorties séparées - et non simultanées comme c’était prévu initialement
- aux quatre coins de la planète en
fonction des dispositions prises par les gouvernements locaux concernant
l’exploitation en salles. Si les risques financiers sont bien réels pour la
maison de Bugs Bunny, la Warner sait pertinemment que son métrage est attendu
comme le messie par des distributeurs et des exploitants de salles plongés en
léthargie pour relancer la machine à pop-corn et attirer les spectateurs dans les
cinémas avec ou sans masque. Une pression supplémentaire qui fait de
« Tenet » l’un des projets les plus sensibles de l’histoire du
septième art.
IV. Garanti
100% Nolan
Mais, au-delà de sa
sortie chahutée, est-ce que ce thriller vu par la presse spécialisée et le
grand public comme un événement cinématographique restera également dans les annales
pour sa qualité intrinsèque ? Réponse : non. Certes, on retrouve tout ce
qu’on aime chez l’auteur : concept aussi génial qu’original,
rebondissements à foison, séquences d’anthologie, maestria visuelle… Mais, il y
a aussi tout ce qui nous gêne dans son cinéma : verbosité du récit,
montage abrupt, émotions aux abonnés absents, la fluidité de la narration
phagocytée par son concept… Cela émis, ne jetons pas le bébé avec l’eau du
bain, « Tenet » remplit haut la main sa mission de divertissement total
avec quelques effets de manche de haute voltige pour intriguer un public
suffisamment large afin de rembourser son budget pharaonique.
V. No
Time To Die
Après le polar
(Insomnia), le film de casse (Inception), le tour de passe-passe (The Prestige),
les super-héros (la trilogie The Dark Knight), la science-fiction (Interstellar),
la guerre (Dunkirk), le réalisateur de « Memento » change derechef de
registre et s’attaque à l’espionnage. En substance, Christopher Nolan, amoureux
transi de 007, s’est offert son propre James Bond. Tout y est ! Lisez
plutôt : un méchant très… méchant (Kenneth Branagh, maître ès cabotinage, à
deux doigts de verser dans la caricature), des décors exotiques (parfois
purement gratuits), un récit sur base de fin du monde imminente (une antienne
bien connue du genre), des personnages élégamment taillés (tout le monde est
tiré à quatre épingles), une femme fatale à sauver (Elizabeth Debicki, future Princesse
des cœurs dans la série The Crown, on valide) ainsi que des scènes d’action
virtuoses bigger than life (et jamais
vues sur grand écran) à vous couper le souffle. De quoi faire patienter les
aficionados hardcore de l’agent secret de Sa Majesté après le report de
« No Time To Die » au mois de novembre.
VI. Vous
n’êtes pas cordialement invités à la fête
Concrètement, l’histoire
suit un espion censé empêcher la troisième guerre mondiale. Jusque-là, rien
d’inédit, sauf que notre protagoniste (John David Washington, fils de Denzel,
impeccable) doit faire face à une menace mondiale et invisible venue du futur. L’occasion
pour le metteur en scène surdoué de prolonger ses réflexions métaphysiques et
conceptuelles sur le temps et notre rapport à la réalité, marottes du cinéaste
qui apparaissent en filigrane dans toute sa filmographie. Bref, tout ça semble
très intéressant. Le hic, c’est que Nolan ne vous convie pas à la fête. Avec
son intrigue capillotractée, ses dialogues sibyllins, son récit elliptique, son
style nébuleux et ses clefs de lecture manquant cruellement à l’appel, le
Britannique n’éprouve aucune gêne à vous laisser sur le carreau.
VII. Suspension
d’incrédulité
Bien sûr, vous comprenez grosso merdo ce qui se joue à l’écran.
Vous saisissez les grandes lignes de cette trame filandreuse à souhait. Mais,
dès que vous poussez le concept des plus hermétiques dans ses derniers
retranchements (le climax « WTF ? », par exemple), hormis si
vous êtes l’heureux détenteur d’un doctorat en physique quantique, vous risquez
de vous sentir aussi seul que Robinson sans Vendredi dans son enfer insulaire. C’est
que l’Anglais n’hésite pas à faire de l’épate avec du name dropping de concepts issus de la physique sans soutenir son discours
par des explications. Citer sans expliciter, un peu facile Mister Nolan ! Le
salut du spectateur vient alors avec la suspension consentie de
l’incrédulité. Autrement dit, mettez la rationalité ainsi que tout jugement
critique de côté et abandonnez-vous devant l’écran géant. Seule solution laissée
à l’audience pour profiter pleinement du spectacle offert.
VIII. Un
grand huit qui vous retourne le cerveau
Et en termes de roller coaster, ce long-métrage hors
norme de 2h30 tient toutes ses promesses. Si l’auteur vous retourne le cerveau,
ce dernier vous en met également plein les mirettes grâce à une mise en scène audacieuse
et riche en détails. Les esgourdes, elles, regretteront l’absence du chevronné
Hans Zimmer (Inception, Interstellar) derrière le pupitre, remplacé par la
baguette d’un Ludwig Göransson (Black Panther, Creed) inconstant dans sa
partition, laquelle propose des éclairs de génie (le prologue et son immersion
musicale) et des ratés inaudibles (le final).
IX. Acide
acétylsalicylique
In fine, à l’heure où le
public se passionne en masse pour des hommes en collant tout droit sortis d’un
bal masqué numérique agissant dans des scenarii simplistes et niais aux
ficelles narratives on ne peut plus élimées, on ne peut reprocher à Christopher
Nolan, dernier des Mohicans en tant que réalisateur hors pair de blockbusters
d’auteur, de nous bousculer les méninges et de venir avec un matériau démentiel,
exigeant, complexe, et jusqu’au-boutiste dans sa démarche sans concession, qui
nous impose de faire fonctionner notre matière grise. Gare aux céphalées !
X. Dont
acte
Par ailleurs, à l’instar
d’une dive bouteille qui a eu le temps de décanter, nul doute que son
« Tenet » s’appréciera davantage dans la durée et supportera mieux le
second visionnage, indispensable pour appréhender tous les rouages d’une
odyssée ésotérique et cérébrale éprouvante, nébuleuse voire absconse pour
certains, mais ô combien surprenante et passionnante. Dont acte. Nous attendons
désormais avec impatience sa sortie dévédé-blouré.
En somme, que vous soyez laudateur ou détracteur du cinéma nolanien, ce film ne
vous laissera pas indifférent. Les thuriféraires crieront au génie, les
contempteurs au scandale. Et c’est finalement ce qu’on apprécie chez le
cinéaste, sa volonté de prendre des risques, quitte à laisser de côté une
partie du grand public.
Note : ★★★
Critique : Professeur Grant
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