Adieu les cons

 


Lorsque Suze Trappet apprend à 43 ans qu’elle est sérieusement malade, elle décide de partir à la recherche de l'enfant qu’elle a été forcée d'abandonner quand elle avait 15 ans. Sa quête administrative va lui faire croiser JB, quinquagénaire en plein burn out, et M. Blin, archiviste aveugle d’un enthousiasme impressionnant. À eux trois, ils se lancent dans une quête aussi spectaculaire qu’improbable.



I. D’Au revoir à Adieu…

Trois ans après le triomphe critique et commercial de sa gargantuesque adaptation multi-césarisée d’Au Revoir Là-Haut de Pierre Lemaitre, Albert Dupontel signe son grand retour derrière la caméra avec un projet original et singulier tout droit sorti de son imaginaire foisonnant et débridé. Adieu Les Cons renoue avec un cinéma pessimiste et joyeux qu’il affectionne particulièrement, celui plus personnel qui conjugue le slapstick à l’absurde, additionne le non-sens et la poésie. L’histoire est celle d’une rencontre improbable entre une belle coiffeuse « qui veut vivre mais ne peut pas » et un informaticien en plein burn out « qui peut vivre mais ne veut pas ».

II. Ode aux éclopés de la vie

D’un côté, il y a Suze (Virginie Efira, d’une justesse absolue), quadra sérieusement malade mue par l’envie de retrouver l’enfant né sous X qu’elle a été forcée d’abandonner adolescente. De l’autre, JB (Dupontel dans le costume d’un personnage qui lui sied à merveille), quinqua dépressif qui vient de rater son suicide de façon spectaculaire. Notre tandem croise Monsieur Blin (Nicolas Marié dans un rôle mémorable) sur sa route, un archiviste aveugle aussi optimiste que bien perché qui semble avoir un pète au casque. A trois, ils se lancent dans une quête « à la vie, à la mort » jonchée de péripéties les plus rocambolesques les unes que les autres.

III. Drôle de drame

Écrivons-le d’emblée, cela faisait longtemps qu’une œuvre hexagonale empruntant le sentier périlleux de la comédie n’avait plus fait glousser une salle obscure à l’unisson. Résultat à l’audiomètre : des rires nombreux, francs, spontanés, parfois même incoercibles. Bref, le film fonctionne sur l’audience, elle qui a bien besoin de décompresser suite à l’annonce des nouvelles mesures gouvernementales pour enrayer la propagation du coronavirus. Et, de fait, cette satire sociale corrosive est une pure réussite en parvenant vaille que vaille à maintenir son fragile équilibre sur le fil de la justesse nonobstant sa dimension bigger than life et son exubérance formelle.

IV. D’une inventivité constante

Car, dans cette fable caustique teintée d’humour noir, tout est étiré, grossi, exacerbé, puissance dix, exposant mille. Ce n’est pas seulement un drame, c’est une tragédie. Ce n’est pas uniquement drôle, c’est désopilant. Pour ce faire, le cinéaste fait feu de tout bois pour mettre en scène sa vision désenchantée d’une société gangrenée par le cynisme, l’individualisme, la déshumanisation et la solitude. Sa réalisation, par exemple, est d’une inventivité constante. On ne compte plus les trouvailles visuelles. Au hasard : le plan vertigineux de l’escalier hélicoïdal ou encore la séquence finale de l’ascenseur, à la fois cartoonesque et lyrique. Magnétique !

V. Larmes, histrionisme et désespérance

Notons encore son sens du dialogue mitraillette qui percute, chamboule, met K.-O. Son brio dans le montage aussi : pas un bout de gras, juste l’essentiel, et, comme à l’accoutumée dans son cinéma, le rythme frénétique pieusement préservé. Mais également son regard pertinent sur le choix des comédiens. On retient les larmes de détresse de Virginie Efira qui amènent l’émotion, l’histrionisme phénoménal de Nicolas Marié qui apporte le burlesque, la désespérance nihiliste d’Albert Dupontel qui déclenche le drame. Tous concourent à rendre cette dramédie aussi passionnante, bouleversante, hilarante. Autrement dit, son génie est partout.

VI. En plein cœur !

Dans un cinéma hexagonal claquemuré dans ses innombrables farces franchouillardes formatées et convenues, l’artisan Dupontel donne un coup de pied dans la fourmilière, casse les codes et apporte un vent de fraîcheur avec ses pellicules iconoclastes des plus jouissives. Biberonné aux maîtres Jacques Tati, Charlie Chaplin, Tex Avery mais aussi à Jean-Pierre Jeunet et surtout au Monty Python Terry Gilliam, lequel fait d’ailleurs un caméo, le quinquagénaire mélange les genres, tord le réel pour mieux commenter l’aliénation du monde kafkaïen qui nous entoure. C’est intelligent, surprenant, haletant, décapant, tendre, désespéré et, surtout, ça tape juste. En plein cœur !

Note : 

Critique : Professeur Grant

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