Falling
John vit en Californie avec son compagnon Eric et leur fille adoptive Mónica, loin de la vie rurale conservatrice qu’il a quittée voilà des années. Son père, Willis, un homme obstiné issu d’une époque révolue, vit désormais seul dans la ferme isolée où a grandi John. L’esprit de Willis déclinant, John l’emmène avec lui dans l’Ouest, dans l’espoir que sa soeur Sarah et lui pourront trouver au vieil homme un foyer plus proche de chez eux. Mais leurs bonnes intentions se heurtent au refus absolu de Willis, qui ne veut rien changer à son mode de vie...
I. Le
Retour du Roi
Côté pile, Viggo, le
comédien, éternel Aragorn dans la saga cinématographique d’heroic fantasy « The Lord of the Rings ». Côté face,
Mortensen, nouvellement réalisateur avec « Falling », son tout
premier long-métrage. Présentée dans des festivals majeurs tels que Sundance,
Toronto, Lyon ou Gand, cette œuvre personnelle et intimiste arrive dans nos
salles obscures estampillée du fameux label « Sélection Officielle Cannes
2020 ». C’est dire toute l’attente et l’effervescence qui entourent ce
projet. Un film qui a, pour notre part, piqué notre curiosité dès l’annonce de
sa production.
II. Polytalent
Et pour son passage
derrière la caméra, l’Américano-Danois, qui vient de recevoir le prix Joseph
Plateau du Film Fest Gent pour l’ensemble de sa carrière, multiplie les
postes : metteur en scène, scénariste, producteur et même compositeur avec
une très belle partition au piano. C’est que le sexagénaire possède plus d’une
corde à son arc. Touche-à-tout, l’homme aux multiples casquettes s’affiche
comme un artiste éclectique. Dans son temps libre, notre esthète aime également
s’essayer à la peinture, son violon d’Ingres, mais aussi à la poésie ainsi qu’à
la photographie. Bref, s’il y a bien un acteur hollywoodien qui peut se targuer
de proposer un vrai regard artistique, soit personnel, singulier et pertinent,
c’est bien lui.
III. Versus
Et écrivons-le tout de
go, nous ne sommes pas déçus. Savamment étudiée, sa mise en scène sobre,
épurée, mais pas austère pour autant, raconte avec pudeur et peu d’artifices
une chronique familiale bouleversante centrée autour d’une relation
conflictuelle et complexe entre un père rustaud souffrant de démence sénile et
un fils débonnaire bien décidé à lui trouver un foyer plus près de chez lui. Une
filiation compliquée entre deux êtres que tout oppose. Culture (la chasse vs
l’art), politique (républicain vs démocrate), milieu social (populaire vs
privilégié), environnement (rural vs urbain), langage (trivial vs respectueux),
sensibilité (la rage vs le calme), les deux hommes aux tempéraments
foncièrement différents ne se retrouvent sur rien, si ce n’est sur une histoire
familiale commune.
IV. Père-Fils
Willis (Lance Henriksen),
le patriarche, est présenté comme un paysan mal dégrossi, réac, incapable de
converser sans sortir une muflerie. Produit d’une époque révolue, tout à la
fois homophobe, misogyne et raciste, ce malappris se sent complètement dépassé
par l’évolution d’une société qu’il rejette en bloc. En face, John (Mortensen), le fiston, vit en couple avec
Eric, son compagnon sino-hawaïen avec qui il a adopté une petite fille, Monica.
Bienveillant, attentionné, à l’esprit doux et déférent, ce dernier se situe à
l’opposé de son géniteur. Malgré les différences, nonobstant la maladie et au
mépris des invectives et autres attaques personnelles de son butor de père, il
va tout faire pour se rapprocher de celui qui reste malgré tout son papa.
V. Flashback
Pour aborder ce rapport générationnel
difficile, le New-Yorkais plonge dans son histoire personnelle et met en scène
quelques événements autobiographiques. Un choix qui aboutira à une ambition
scénaristique audacieuse voire casse-gueule, celle d’éclater sa narration entre
le passé et le présent par le truchement de nombreux flashbacks. Déroutants au
début, ces allers-retours s’avèrent, in fine, toujours pertinents et jamais
redondants. A l’image, cette construction dramaturgique se traduit par des
fondus et des transitions qui s’enchaînent de façon fluide et limpide, faisant
progresser naturellement le récit, lequel n’a pas peur de prendre son temps
pour épaissir ses personnages, même secondaires.
VI. Facecam
Dans cette même dynamique,
Viggo Mortensen fait le choix judicieux d’une réalisation posée, presque
minimaliste, laissant sa caméra, discrète, s’imprégner de l’atmosphère et scruter
les moindres détails des visages des protagonistes. Muni de son savoir-faire
d’acteur accompli, ce dernier sait pertinemment que le faciès est le véritable
outil de travail du comédien ; une lapalissade, certes, mais malheureusement
ignorée par bon nombre d’apprentis réalisateurs aujourd’hui. En témoignent les
nombreux gros plans sur la trogne usée par le temps de Lance Henriksen. Des facecam qui nous restent encore
longtemps en mémoire après la projection.
VII. Lancinant
Par ailleurs, le
réalisateur n’hésite pas à étirer les scènes, jouant sur un tempo lancinant,
usant de « blancs », ces fameux moments silencieux qui s’avèrent
parfois plus éloquents qu’un montage surdécoupé fait de réparties en
champs-contrechamps. Un choix qui a sans doute déstabilisé la critique
américaine à Sundance, peu réceptive à ce premier film. Aux antipodes des
canons stylistiques et rythmiques hollywoodiens, ce dernier dose parfaitement
les moments suspendus avec les séquences dialoguées. Viggo Mortensen montrant
ici une sensibilité cinématographique européenne.
VIII. Fifty
Shades of Grey
L’exécution est
brillante, en phase avec la délicatesse du propos et la sincérité de son
auteur. A travers cette odyssée filiale, l’acteur-réalisateur montre que la vie
n’est pas monochrome, mais s’apparente plus à un grand huit fait de hauts et de
bas, d’obscurité et de lumière. Tout ne s’avère pas entièrement noir. Rien n’est
tout à fait blanc. Ce dernier capte cette zone de gris où s’expriment les
échanges houleux tout comme les marques de réconfort. Car malgré la tragédie,
les insultes, les offenses, les rancœurs enfouies et les non-dits
assourdissants, le récit aborde également le pardon, la tolérance, l’empathie
et saisit à merveille ce rayon lumineux qui peut s’échapper des situations les
plus dramatiques.
IX. Casting
aux petits oignons
Bref, avec cette première oeuvre,
notre Captain Fantastic fait montre
d’une flopée de qualités. Mais, s’il y en a bien une qu’il faut retenir, c’est
sa faculté à bien choisir son casting. Une distribution étonnante et sans
fausse note, des premiers aux seconds rôles. Chacun jouant parfaitement sa
partition. On retiendra la touchante interprétation de Viggo Mortensen,
évidemment, mais on n’oubliera pas de mentionner les convaincants Sverrir
Gudnason (Björn dans Borg/McEnroe), Hannah Gross (Joker), Laura Linney (The Big
C), Terry Chen (House of Cards) ainsi que le caméo du cinéaste David
Cronenberg himself en… proctologue.
X. Lance
Henriksen en pole position dans la course à l’Oscar
Sans oublier l’hénaurme Lance
« Bishop » Henriksen ! L’octogénaire à la voix rocailleuse trouve ici le rôle de sa
vie, lui qui peut se targuer d’avoir une filmographie aussi longue que le
Golden Gate, bâti sur des chefs-d’œuvre (The Right Stuff, Close Encounters of
the Third Kind, Aliens) ainsi que d’immondes navets (au hasard, Alone in the
Dark 2). Cet éternel second couteau abonné aux films de genre douteux a
momentanément quitté ses séries B et Z pour livrer une prestation méritoire digne des
plus grands acteurs du septième art. Une performance hallucinante qui sera, à
coup sûr, saluée par l’Académie par le biais d’une nomination à
l’Oscar. Et, qui sait, peut-être repartira-t-il avec la fameuse statuette
dorée ? C’est tout le mal qu’on lui souhaite.
Note : ★★★★
Critique : Professeur Grant
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