Nightmare Alley

 


Alors qu’il traverse une mauvaise passe, le charismatique Stanton Carlisle débarque dans une foire itinérante et parvient à s’attirer les bonnes grâces d’une voyante, Zeena et de son mari Pete, une ancienne gloire du mentalisme. S’initiant auprès d’eux, il voit là un moyen de décrocher son ticket pour le succès et décide d’utiliser ses nouveaux talents pour arnaquer l’élite de la bonne société new-yorkaise des années 40. Avec la vertueuse et fidèle Molly à ses côtés, Stanton se met à échafauder un plan pour escroquer un homme aussi puissant que dangereux. Il va recevoir l’aide d’une mystérieuse psychiatre qui pourrait bien se révéler la plus redoutable de ses adversaires…



Nightmare Alley : du rêve américain au réel cauchemar

Décidément, 2022 commence sous les meilleurs auspices. Après l’excellente fournée délivrée par Paul Thomas Anderson et sa « Licorice Pizza », voici l’impressionnant et immanquable « Nightmare Alley » signé par ce bon vieux Guillermo Del Toro. Quel joie de constater que sa carrière retrouve un semblant d’éclat après les insondables daubes « Pacific Rim » et « Crimson Peak ». Le multi-primé « The Shape of Water » nous avait déjà mis la puce à l’oreille quant à une éventuelle reprise en main de sa filmographie, mais cette fois-ci c’est une confirmation. Débarrassé de ses foucades stériles (action débridée, hommage toc) et attiré par la nouveauté, le Mexicain délaisse le genre fantastique pour se frotter au film noir. Adapté du roman « Le Charlatan » de William Lindsay Gresham, le récit suit les péripéties de Stan Carlisle, homme en perte de repères embarqué dans une foire aux monstres itinérante, dans les années 1940. Au gré des rencontres, ce dernier, à l’hubris dévorante, se découvre un intérêt certain dans le mentalisme, ce qui le conduira à croiser le chemin de la mystérieuse psychanalyste Lilith Ritter. Ensemble, ils ourdissent un plan pour gruger un homme aussi puissant que dangereux. Une histoire « Rise & Fall » comme le dit l’expression anglaise. Autrement dit : ascension et chute, grandeur et décadence. Au programme : noirceur, pessimisme, manipulation, imposture, non-dits, faux-semblant et sursaut de violence. Ou quand le rêve américain se mue en réel cauchemar.

Cinéma à l’ancienne

Les talents conjugués de conteur et de metteur en scène du cinéaste se mettent au service d’un métrage-fleuve ample et sinueux aussi riche esthétiquement que dense sur le plan narratif. Qu’on se le dise, ce dernier n’a pas son pareil pour mettre sur pellicules des images de toute beauté. Alors que, de nos jours, les productions hollywoodiennes succombent, dans une logique de rentabilité, à une hideuse bouillabaisse numérique pour habiller leurs fictions, Guillermo Del Toro s'affiche comme l’un des rares réalisateurs à encore chérir le cinéma dit « à l’ancienne ». Soit un septième art qui se conçoit dans sa dimension artisanale. Avec ce goût très affirmé pour les ambiances rétro et les atmosphères gothiques, que ce soit dans la construction des décors forains imaginés par la production designer Tamara Deverell, ou dans la photographie soignée de Dan Laustsen. Ainsi,  en laissant libre court à son imaginaire visuel et à sa vitalité créatrice, le quinquagénaire se fend d’un exercice de style raffiné qui s’avère, en sus, être un ravissement pour les pupilles. Son regard pointilleux sur la direction artistique et sa virtuosité indéniable dans la composition des plans dessinent les contours d’un fétichisme formel qui accompagne parfaitement un récit ancré dans le réel et lui confère toute la profondeur demandée, mais aussi toute l’ambiguïté installée en filigrane dans le scénario. Du grand art. Du travail d’orfèvre. De la belle ouvrage. Du cinéma avec un grand C. Voilà ce que vous offre le styliste Del Toro durant 2h30.

The Freak Show

Et si cette fable âpre tout en clair-obscur prend place dans la réalité, l’artiste ne se débarrasse pas pour autant des chimères qui l’accompagnent depuis le début de sa carrière. Comme d’habitude dans son cinéma, les monstres ne sont pas toujours ceux qui nous apparaissent le plus clairement. Il s’attache plutôt à montrer la part de monstruosité dans la nature humaine. Pas de bestiaire donc, mais une affiche foisonnante de « gueules », des seconds rôles bien connus du cinéma américain : Willem Dafoe, Ron Perlman, David Strathairn, Richard Jenkins, Tim Blake Nelson, Clifton Collins Jr. Des freaks carnavalesques interlopes magnifiés par la caméra du réalisateur. Quant au casting féminin, il tient la dragée haute avec la vénéneuse Cate Blanchett, la charmante Rooney Mara et la délicieuse Toni Collette. Sans oublier celui qui domine cette distribution, Bradley Cooper, dans son meilleur costume jusqu’à présent, livrant également sa plus belle interprétation. Si on peut regretter un manque de finesse dans son dernier tiers, tuant tout suspense, et un dénouement inutilement long, « Nightmare Alley » est incontournable, et ce à plus d’un titre : 1) parce qu’il a à cœur de vous faire passer un excellent moment de cinéma à vivre sur grand-écran depuis une salle obscure ; 2) parce que c’est une proposition originale en ces temps de carence créative ; 3) parce qu’en dépit de ses innombrables qualités, l’œuvre subit un cuisant échec au box-office, sonnant ainsi le glas des superproductions ambitieuses et intelligentes.

Vous voulez du choix ? Vous désirez autre chose que des super-héros, licences vidéoludiques, remake, reboot, soft-reboot et autres hommages vains aux années 80 et 90 ? Alors, ruez-vous chez votre exploitant de salles préféré et soutenez ce cinéma en passe de disparaître.

Note : 

Critique : Professeur Grant

Commentaires

Articles les plus consultés