Nightmare Alley
Nightmare
Alley : du rêve américain au réel cauchemar
Décidément, 2022 commence
sous les meilleurs auspices. Après l’excellente fournée délivrée par Paul
Thomas Anderson et sa « Licorice Pizza », voici l’impressionnant et
immanquable « Nightmare Alley » signé par ce bon vieux Guillermo Del
Toro. Quel joie de constater que sa carrière retrouve un semblant d’éclat après
les insondables daubes « Pacific Rim » et « Crimson Peak ».
Le multi-primé « The Shape of Water » nous avait déjà mis la puce à
l’oreille quant à une éventuelle reprise en main de sa filmographie, mais cette
fois-ci c’est une confirmation. Débarrassé de ses foucades stériles (action
débridée, hommage toc) et attiré par la nouveauté, le Mexicain délaisse le
genre fantastique pour se frotter au film noir. Adapté du roman « Le
Charlatan » de William Lindsay Gresham, le récit suit les péripéties
de Stan Carlisle, homme en perte de repères embarqué dans une foire aux
monstres itinérante, dans les années 1940. Au gré des rencontres, ce dernier, à
l’hubris dévorante, se découvre un intérêt certain dans le mentalisme, ce qui
le conduira à croiser le chemin de la mystérieuse psychanalyste Lilith Ritter.
Ensemble, ils ourdissent un plan pour gruger un homme aussi puissant que
dangereux. Une histoire « Rise & Fall » comme le dit l’expression
anglaise. Autrement dit : ascension et chute, grandeur et décadence. Au
programme : noirceur, pessimisme, manipulation, imposture, non-dits,
faux-semblant et sursaut de violence. Ou quand le rêve américain se mue en réel
cauchemar.
Cinéma
à l’ancienne
Les talents conjugués de
conteur et de metteur en scène du cinéaste se mettent au service d’un métrage-fleuve
ample et sinueux aussi riche esthétiquement que dense sur le plan narratif. Qu’on
se le dise, ce dernier n’a pas son pareil pour mettre sur pellicules des
images de toute beauté. Alors que, de nos jours, les productions
hollywoodiennes succombent, dans une logique de rentabilité, à une hideuse
bouillabaisse numérique pour habiller leurs fictions, Guillermo Del Toro s'affiche comme l’un des rares réalisateurs à encore chérir le cinéma dit « à l’ancienne ».
Soit un septième art qui se conçoit dans sa dimension artisanale. Avec ce goût
très affirmé pour les ambiances rétro et les atmosphères gothiques, que ce soit
dans la construction des décors forains imaginés par la production designer Tamara
Deverell, ou dans la photographie soignée de Dan Laustsen. Ainsi, en laissant libre court à son imaginaire
visuel et à sa vitalité créatrice, le quinquagénaire se fend d’un exercice de
style raffiné qui s’avère, en sus, être un ravissement pour les pupilles. Son
regard pointilleux sur la direction artistique et sa virtuosité indéniable dans
la composition des plans dessinent les contours d’un fétichisme formel qui
accompagne parfaitement un récit ancré dans le réel et lui confère toute la
profondeur demandée, mais aussi toute l’ambiguïté installée en filigrane dans
le scénario. Du grand art. Du travail d’orfèvre. De la belle ouvrage. Du
cinéma avec un grand C. Voilà ce que vous offre le styliste Del Toro durant
2h30.
The
Freak Show
Et si cette fable âpre tout
en clair-obscur prend place dans la réalité, l’artiste ne se débarrasse pas
pour autant des chimères qui l’accompagnent depuis le début de sa carrière.
Comme d’habitude dans son cinéma, les monstres ne sont pas toujours ceux qui
nous apparaissent le plus clairement. Il s’attache plutôt à montrer la part de
monstruosité dans la nature humaine. Pas de bestiaire donc, mais une affiche
foisonnante de « gueules », des seconds rôles bien connus du cinéma
américain : Willem Dafoe, Ron Perlman, David Strathairn, Richard Jenkins,
Tim Blake Nelson, Clifton Collins Jr. Des freaks carnavalesques interlopes magnifiés
par la caméra du réalisateur. Quant au casting féminin, il tient la dragée
haute avec la vénéneuse Cate Blanchett, la charmante Rooney Mara et la délicieuse
Toni Collette. Sans oublier celui qui domine cette distribution, Bradley
Cooper, dans son meilleur costume jusqu’à présent, livrant également sa plus belle
interprétation. Si on peut regretter un manque de finesse dans son dernier
tiers, tuant tout suspense, et un dénouement inutilement long, « Nightmare
Alley » est incontournable, et ce à plus d’un titre : 1) parce qu’il
a à cœur de vous faire passer un excellent moment de cinéma à vivre sur
grand-écran depuis une salle obscure ; 2) parce que c’est une proposition
originale en ces temps de carence créative ; 3) parce qu’en dépit de ses innombrables
qualités, l’œuvre subit un cuisant échec au box-office, sonnant ainsi le glas des
superproductions ambitieuses et intelligentes.
Vous voulez du choix ?
Vous désirez autre chose que des super-héros, licences vidéoludiques, remake, reboot,
soft-reboot et autres hommages vains aux années 80 et 90 ? Alors, ruez-vous
chez votre exploitant de salles préféré et soutenez ce cinéma en passe de
disparaître.
Note : ★★★★
Critique : Professeur Grant
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