Nope
Les habitants d’une vallée perdue du fin fond de la Californie sont témoins d’une découverte terrifiante à caractère surnaturel.
Peele
ou face
Côté Peele : Jordan,
acteur comique vu dans la série humoristique acclamée « Key & Peele ». Côté
face (cachée) : un cinéaste biberonné à « La Quatrième Dimension » qui
ambitionne non sans un certain savoir-faire de réinventer le genre horrifique
contemporain. Après le triomphe de « Get Out », couronné de l’Oscar du meilleur
scénario, et le joli succès en salles de « Us » - 255 millions de dollars
amassés au box-office mondial, Jordan Peele signe son come-back avec une envie
d’ailleurs : « Nope ». Changement de registre donc pour le nouveau golden boy
hollywoodien qui délaisse le thriller d’épouvante pour s’aventurer sur le
terrain aride du western de science-fiction. Rassurez-vous, ce dernier
s’inspire davantage du sous-estimé « Signs » de M. Night Shyamalan et du
cultissime « Close Encounters of the Third Kind » paraphé Tonton Spielberg que
du navrant « Cowboys & Aliens » péniblement manœuvré par Jon Favreau. Fort
d’un budget conséquent et d’une ambition visuelle qui n’a d’égal que son
imaginaire torturé, le New-Yorkais a la folie des grandeurs, filme en Imax,
mais reste pour autant fidèle à son cinéma. S’il se réinvente quelque peu, les
thuriféraires resteront en terrain connu : réalisme, symboles et métaphores, un
brin d’hémoglobine ainsi qu’un zeste d’humour noir. Dans cette troisième livraison,
l’intrigue tourne autour de OJ Haywood, gestionnaire, dans une vallée
californienne reculée, d’un haras de chevaux dressés pour les tournages. Deux
événements viennent perturber son quotidien : la mort de son père dans des
circonstances mystérieuses et l’apparition d’un nuage immobile au-dessus de
chez lui. Un phénomène météorologique qui cacherait une menace terrifiante.
Polysémique
Au sortir de la
projection, les questions se bousculent, les tentatives d’interprétations
foisonnent, l’envie d’obtenir le fin mot de l’histoire obsède. « Nope » peut
s’apprécier selon deux niveaux de lecture. Si d’aucuns se contenteront de
suivre le récit au premier degré, d’autres se tortureront les méninges pour
recouper tous les éléments du sous-texte éparpillés en filigrane au fil de l’intrigue.
Car Peele use (et abuse ?) de la rétention d’information et brouille les pistes
pour mieux vous laisser recoller les morceaux, donnant parfois l’impression
d’un film-puzzle, lequel passionne autant qu’il désarçonne. Énigmatique jusque
dans son titre, le (un peu trop long-)métrage avance masqué, se gardant bien de
gérer ses effets pour déjouer habilement vos attentes et mieux vous flanquer la
frousse au bon moment. Rusée et imprévisible, la pellicule livre sporadiquement
des bribes d’explications qui vous permettent d’avancer dans un brouillard
narratif maîtrisé. Le quadragénaire offre notamment une métaphore de notre
rapport au cinéma, et plus globalement à l’industrie du spectacle, tout en
incluant le bien-être animal et en questionnant notre fascination pour les
images au travers de l’entité surnaturelle qui gobe et digère aveuglément ce
qui est à sa disposition. Singulière, complexe, puissante, cette œuvre
polysémique au pouvoir anxiogène et magnétique n’en oublie pas d’être avant
tout un blockbuster d’auteur dans la plus pure tradition (à la manière d’un «
Jaws »), qui manie l’intime et le spectaculaire avec une virtuosité sans égal.
La mise en scène taillée au cordeau, la bande son monstrueuse, le charme des
comédiens, tous plus talentueux les uns que les autres, et la superbe
photographie shootée par l’illustre chef op’ Hoyte Van Hoytema (Interstellar)
achèvent de faire de ce divertissement de haut vol le grand rendez-vous estival
de 2022.
Note : ★★★
Critique : Professeur Grant
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