Ida

★★★★

Petite séance de rattrapage avec «Ida». Il y a comme ça des films qu’on veut absolument voir au cinéma. Et finalement, malgré l’envie, on les loupe. Par manque de temps. Parce que le métrage ne reçoit pas l’accueil qu’il mérite. Parce que les exploitants de salles ne croient pas en lui. Parce que les budgets publicitaires ne sont pas mirobolants et, du coup, une grande partie du public ignore sa sortie. Parce que tout simplement la carrière du film sur la grande toile s’est résumée à pas grand-chose.
Il faut dire qu’avec son traitement en noir et blanc, son sujet pas très sexy (dans une Pologne sixties qui tente de se reconstruire en masquant l’ignominie du passé, une jeune orpheline élevée au couvent, part à la rencontre de sa tante, seul membre de sa famille encore en vie, et découvre un sombre secret de famille datant de l'occupation nazie), l’utilisation du polonais, son rythme lent et ses quelques lignes de dialogues, «Ida» avait très peu de chance de toucher une large audience. Le réalisateur Pawel Pawlikowski confinait d’emblée «Ida» au seul circuit art et essai.
Nonobstant une critique dithyrambique, l’œuvre n’a pas connu le retentissement espéré. Reste alors son triomphe dans les différents festivals où il a tourné (des événements plutôt d’ordre confidentiel) comme maigre consolation. Mais l’intérêt risque d’être ravivé avec sa nomination à l’Oscar du «meilleur film étranger». En dépit de la présence de concurrents très sérieux en face comme le mauritanien «Timbuktu» ou encore le russe «Leviathan», on voit mal comment «Ida» pourrait être snobé par l’Académie. Ne jouons pas les Cassandre et espérons un couronnement. Une statuette qui serait cent fois méritée tant ce film est une véritable leçon de mise en scène.
Ce qui épate d’emblée, c’est le sens inné du (dé)cadrage. Pawel Pawlikowski réinvente la grammaire cinématographique en disposant quasi systématiquement les visages des personnages au ras du cadre comme pour les montrer écrasés par le poids du destin, perdus dans un environnement mortuaire, seuls avec leur souffrance. A l’aide d’une caméra immobile et au moyen de plans fixes austères esthétisants avec un format carré, le réalisateur met en scène ses protagonistes comme de véritables tableaux. Le Polonais habille son métrage d’un somptueux noir et blanc crépusculaire avec de très belles nuances de gris ce qui donne un rendu épuré d’une beauté à couper le souffle. Qu’on se le dise, «Ida» est une œuvre dont l’élégance des images est entêtante.
Sur ces belles photographies se traine une narration toute simple, laquelle maintient une intensité mélancolique ainsi qu’une atmosphère lourde et pesante. Le metteur en scène livre par ailleurs deux très beaux portraits de femmes: la tante, jouée par la brillante Agata Kulesza, et Ida, interprétée par une actrice (qui n’en est pas une!) juste et bouleversante, la révélation Agata Trzebuchowska. Une comédienne est née. En adoptant un regard distancié sur le passé, Pawel Pawlikowski questionne la foi en la mettant en parallèle avec la recherche de sa propre identité.

Enfin, «Ida», c’est aussi la preuve qu’il y a une vie de réalisateur après la sortie d’un insondable navet. Pour rappel, ce dernier avait commis la daube intersidérale «La Femme du Ve Etage», avec Ethan Hawke et Kristin Scott Thomas. Le Polonais a réussi à remonter la pente et il nous revient in fine avec une œuvre imparable.

Professeur Grant

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