Monsieur Etrimo





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DOSSIER

Un documentaire revient sur l’ascension et la chute de Monsieur Etrimo

Avec «Monsieur Etrimo», David Deroy et Matthieu Frances esquissent le portrait de Jean-Florian Collin dont le rêve était de vendre un appartement à chaque ménage belge. L’occasion pour le spectateur de comprendre d’où viennent ces fameux immeubles qui ont reconfiguré le paysage bruxellois.

Il avait un rêve: faire de chaque Belge un propriétaire. Lui, c’est Jean-Florian Collin, surnommé «Monsieur Etrimo». Un documentaire revient sur l’ascension et la chute de celui qui a reconfiguré le paysage urbanistique bruxellois.

Qui n’a pas eu un cousin, une amie, un oncle ou une connaissance ayant habité un immeuble Etrimo? Mais au fait, qu’est-ce qu’Etrimo? Que signifient ces barres de logement, qui se reproduisent, à l’identique, dans le paysage des grandes villes de Belgique? C’est la question que se sont posés David Deroy et Matthieu Frances, les réalisateurs de ce documentaire actuellement diffusé au cinéma Vendôme à Ixelles.

Jean-Florian Collin est un echte Brusseleir, né en 1904 rue de l’Etuve, à deux jets de briques du Manneken-Pis. Il s’était fait connaître sous son nom propre comme «architecte et constructeur». Figure de proue de la promotion immobilière à Bruxelles, on lui doit la réalisation d’œuvres emblématiques du modernisme en Belgique, alors que le mode d’habitat collectif entre seulement dans les habitudes domestiques de la bourgeoisie.

Surfant sur la crise pendant la dépression (les épargnants investissent dans la brique) puis sur la relance, après-guerre, le self-made-man du Plat Pays, à l’aube des années ’60, introduit dans la capitale un nouveau mode de logement bon-marché, standardisé et produit à grande échelle: l’appartement dans un parc comme on peut en voir actuellement dans le quartier Mutsaard, à Laeken.

Ainsi, entre 1950 et 1970, on voit poindre un peu partout à Bruxelles et même dans tout le royaume un nouveau modèle d’habitat. Immeuble standard destiné aux classes moyennes, le produit portera le nom de son concepteur et entrera dans le langage courant: Etrimo.

Avec 20.000 logements construits en Belgique, et deux milliards de francs de chiffre d’affaires pour la seule année 1969, Jean-Florian Collin, alias Monsieur Etrimo, était le plus gros constructeur de logements d’Europe. Le Bruxellois concrétise cet adage comme quoi «le Belge a une brique dans le ventre».

Héros de la Résistance en France, figure haute-en-couleur et controversée, pittoresque, tragique, ou tyrannique, le magnat est l’artisan d’une politique voulue par les gouvernements catholiques, socialistes ou libéraux, et qui permit d’éviter en Belgique des crises du logement, après la guerre, comme en France, ou aux Pays-Bas.

Seulement, l’homme avait le sens de la démesure et «la Belgique était trop petite». Mégalomane, il n’a pas anticipé suffisamment l’augmentation des taux d’intérêt et du coût des matières premières. Au mois d’octobre 1970, l’affaire Etrimo mobilise à Bruxelles 3.500 petits épargnants qui se sont endettés auprès du plus grand promoteur immobilier de Belgique. De très nombreux ménages ayant acheté sur plan se retrouvèrent sur le carreau. 

Le géant aux pieds d’argile se couche définitivement, à l’aube des années ’70, associé au plus grand scandale immobilier qu’ait connu la Belgique. Sa chute sonne le glas d’une époque; celle des golden sixties, et inaugure l’entrée de la Belgique dans la crise.

Son patronyme reste également attaché à une conception fort décriée de l’architecture et de l’urbanisme, et à une période dénommée par les historiens «la Belgique de Papa». D’aucuns n’hésitent pas à qualifier de «coup de poing dans la figure» ces immeubles qui ont fleuri dans nos communes. Une période où l’urbanisme n’était pas aussi contrôlé qu’aujourd’hui. Un néologisme péjoratif se répand chez les contestataires: la bruxellisation.

A travers les archives de la RTBF et de la VRT, et des films personnels de Jean-Florian Collin, de ses proches et de sa famille, le documentaire retrace l’étonnante success story d’un homme de son temps, «petit bâtard, devenu sénateur» dont le gigantisme et la mégalomanie provoqueront la banqueroute à l’aube des années ’70. 

En 1985, date de son décès, le «père du logement social pour cadres moyens» ne laisse rien; sinon quelques effets personnels. Son héritage à la Belgique? L’accès à la propriété.


L'avis de notre critique

Au regard des crises immobilières d’aujourd’hui, il est intéressant de jeter un œil dans le rétroviseur et de découvrir un des plus grands scandales du secteur de la construction en Belgique. 

Avec «Monsieur Etrimo», David Deroy et Matthieu Frances racontent le parcours d’un génie des affaires, mais également, et plus modestement, l’histoire des classes moyennes belges, et du royaume à l’heure de la modernité. Le documentaire s'attache aussi à montrer comment ces fameux immeubles fast-food ont redessiné le paysage urbanistique bruxellois. 

D’une durée qui n’excède pas l’heure, le métrage va directement à l’essentiel. Armés d’un montage particulièrement efficace et d’un travail méticuleux quant à la récolte de documents d’archives, les réalisateurs parviennent à nous passionner pour un thème, au premier abord, pas très sexy, soit l’immobilier bruxellois. 

C’est là toute la réussite de ce documentaire prévu à l’origine pour la télévision et qui bénéficie d’une timide sortie en salles. Bémol toutefois: on regrette le peu de place accordé aux personnes qui ont subi de plein fouet la faillite Etrimo. Un point de vue qui fait cruellement défaut à ce documentaire, certes passionnant, mais qui laisse quelque peu sur sa faim.

Note:
Critique: Professeur Grant

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