Cézanne et Moi


Ils s’aimaient comme on aime à treize ans : révoltes, curiosité, espoirs, doutes, filles, rêves de gloires, ils partageaient tout. Paul est riche. Emile est pauvre. Ils quittent Aix, « montent » à Paris, pénètrent dans l’intimité de ceux de Montmartre et des Batignolles. Tous hantent les mêmes lieux, dorment avec les mêmes femmes, crachent sur les bourgeois qui le leur rendent bien, se baignent nus, crèvent de faim puis mangent trop, boivent de l’absinthe, dessinent le jour des modèles qu’ils caressent la nuit, font trente heures de train pour un coucher de soleil... Aujourd’hui Paul est peintre. Emile est écrivain. La gloire est passée sans regarder Paul. Emile lui a tout : la renommée, l’argent une femme parfaite que Paul a aimé avant lui. Ils se jugent, s’admirent, s’affrontent. Ils se perdent, se retrouvent, comme un couple qui n’arrive pas à cesser de s’aimer.








Plus proche de la croûte que de la toile, le très attendu « Cézanne et moi » fait partie de ces « hénaurmes » déconvenues qui hantent encore longtemps l’esprit du cinéphile une fois le visionnage terminé. Il s’en dégage comme une méchante impression d’être passé à côté d’une grande œuvre. Dialoguiste hors pair, Danièle Thompson oublie que l’excellente qualité des joutes verbales n’induit pas nécessairement un bon scénario. Car il y a dans ce long-métrage qui aborde l’amitié conflictuelle entre deux esthètes du XIXe siècle, Emile Zola et Paul Cézanne pour ne pas les nommer, un véritable problème d’écriture. Et on évitera d’évoquer la mise en scène, d’une platitude qui frôle l’académisme.
La fille de Gérard Oury entame son film avec une introduction indigeste (l’enfance « téléfilm TF1 friendly » de notre tandem d’artistes balayée en deux temps trois mouvements n’a pas sa place, d’autant plus que le casting des mioches est exécrable) et le ponctue avec une séquence superfétatoire (« J’Accuse… ! », à peine abordée, tombe comme un cheveu sur la soupe). Déjà mal embarqué, on sortira donc de la projection avec la mine encore plus déconfite par ce triste désappointement. Il convient donc de s’intéresser au cœur du film, lequel réserve certes l’un ou l’autre regain d’intérêt mais cela reste insuffisant pour en faire une œuvre indispensable.
Perdue dans ses flash-back systématiques, la réalisatrice n’arrive pas à extraire les enjeux qui se dessinent entre le peintre et l’écrivain. Comme aveuglée par sa propre ritournelle cinématographique, la cinéaste semble incapable de donner du sens à ses incessants allers-retours. Là où devraient émerger du suspense ou des surprises, il n’y a que figuration ou répétition. Alors que les séquences doivent se répondre, celles-ci ne font qu’illustrer le propos sans grand génie. Il manque ainsi une charpente à son récit qui se perd dans des circonlocutions interminables. Heureusement, la maestria des Guillaume – Gallienne/Cézanne et Canet/Zola -, au diapason, fait des merveilles.
Les échanges sont vibrants mais dommage que ceux-ci soient ternis par la piètre qualité du maquillage et des accessoires. Qui peut croire à ces postiches de barbe ? Qui peut passer à côté du ventre artificiel de l’auteur de Germinal? Si le septième art est la maîtrise de l’illusion, on ne peut pas vraiment affirmer que Danièle Thompson ait accouché d’une œuvre cinématographique. Même le montage sonore est catastrophique. Qui a vraiment pensé qu’une locomotive à vapeur passait derrière la maison d’Emile Zola ? La règle d’or dans le milieu est la suivante: si on ne parvient pas à obtenir le budget pour figurer un élément, on en fait abstraction. D’autant plus qu’ici, l’idée du train n’apporte rien au récit.
Une histoire qui sacrifie par ailleurs tous les personnages secondaires. Celui de Déborah François est abandonné, Laurent Stocker fait de la figuration tandis que la présence de Sabine Azéma relève plus de l’anecdote qu’autre chose. Difficile de tirer son épingle du jeu quand le matériau de base vous offre aussi peu d’intérêt. Seule Alice Pol semble brièvement intriguer Danièle Thompson. Pour le reste, il faudra se contenter des séquences d’exposition sur Aix-en-Provence, somptueuses évidemment. Sauf qu’on n’a pas déboursé un ticket de cinéma pour un documentaire sur la région. Autrement dit, la fiction est faible et le film ne convainc finalement que par intermittence. Bancal.


Note:
Critique: Professeur Grant

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