Toni Erdmann


Quand Ines, femme d’affaire d’une grande société allemande basée à Bucarest, voit son père débarquer sans prévenir, elle ne cache pas son exaspération. Sa vie parfaitement organisée ne souffre pas le moindre désordre mais lorsque son père lui pose la question « es-tu heureuse? », son incapacité à répondre est le début d'un bouleversement profond. Ce père encombrant et dont elle a honte fait tout pour l'aider à retrouver un sens à sa vie en s’inventant un personnage : le facétieux Toni Erdmann…


Qu’un film hors norme comme « Toni Erdmann » reparte bredouille de Cannes en dit long sur un festival vieillissant qui se décrédibilise année après année. Souvenez-vous, en 2015, le jury a préféré introniser le mi-figue mi-raisin « Dheepan » du Français Jacques Audiard plutôt que le chef-d’œuvre instantané « Saule Fia » du Hongrois László Nemes. Totalement injuste. Heureusement, depuis, l’Académie a effacé le camouflet en l’honorant de l’Oscar de la meilleure production étrangère. Complètement à côté de la plaque, le président George Miller et ses jurés ont ignoré en mai dernier cette merveilleuse comédie dramatique allemande qui méritait, si ce n’est la Palme, au moins une autre récompense prestigieuse. Au hasard : le Grand Prix, le prix d’interprétation, qu’il soit masculin ou féminin d’ailleurs, le scénario… Il est un fait : l’œuvre de Maren Ade brille par ses qualités. Bref, la Croisette se ridiculise tandis que la critique internationale joue son rôle à plein régime, à savoir réparer l’avanie et lui offrir une couverture médiatique bien méritée.
Car « Toni Erdmann » est une claque. La cinéaste donne ici une leçon d’écriture. Son scénario, évoluant constamment sur le fil du rasoir entre l’humour et l’émotion, est d’une précision qui force le respect, sinon l’admiration. Il n’y a qu’à analyser la manière dont la psychologie des personnages progresse. On se laisse facilement porter au gré d’un récit toujours imprévisible et ce durant 2h42. Long ? Certes, un chouïa. Mais on ne saurait lui en vouloir tant ce long-métrage se montre particulièrement foisonnant, généreux et intelligent dans sa mise en scène. La réalisatrice parvient à user des silences au bon moment, pour que ceux-ci soient paradoxalement éloquents. En outre, il y a du jeu, des surprises, du rythme, de l’audace, des larmes, des fulgurances et des fou-rires. Ici, même les sous-intrigues passionnent car l’auteur mêle à sa chronique existentielle une critique sociale grinçante sur le cynisme de l’ultralibéralisme tout en se permettant de brocarder la culture de la performance. Maren Ade réussit par ailleurs un numéro périlleux d’équilibriste qui consiste à prendre le chemin de la farce absurde tout en ne s’écartant pas de son sujet, à savoir le portrait intime et réaliste d’une relation filiale plutôt tendue.
Car Toni Erdmann, c’est avant tout l’histoire d’une relation père-fille quelque peu conflictuelle. Celle d’un papa-clown qui veut voir celle qu’il appelle « Spaghetti » sourire à la vie. Quand Ines, workaholic patentée d’une société allemande de consultance basée à Bucarest, voit son paternel armé de son indécrottable humour potache débarquer sans prévenir, sa vie trop parfaitement organisée va tout doucement partir en cacahuète. Surtout lorsque ce dernier lui pose la question « es-tu heureuse? », son incapacité à répondre est le début d’un bouleversement profond. Son géniteur importun dont elle a honte s’est mis en tête de tout faire pour l’aider à retrouver un sens à son existence. Pour ce faire, il va s’inventer un personnage: le facétieux Toni Erdmann. Particulièrement drôle, le film n’en est pas moins sensible par la grâce de son tandem de comédiens, la magnifique Sandra Hüller, tour à tour glaciale et attachante, et l’irrésistible Peter Simonischek, à la fois délicat et balourd.
Entre les Star Trek, Jason Bourne, Ghostbusters, Suicide Squad et autre Independence Day, voici enfin la bouffée d’oxygène d’un été cinématographique asphyxié par des blockbusters pétaradants sans grande originalité. S’il ne fallait voir qu’un seul métrage en ce moment, c’est celui-là. Pourquoi doit-il requérir toute votre attention ? Parce qu’il ne ressemble qu’à lui-même, car il mélange toutes sortes d’émotions et, enfin, parce que vous serez surpris par les chemins qu’il emprunte notamment lors d’un climax inattendu, scène d’anthologie à la fois hilarante et embarrassante, entre soubresauts burlesques et tensions extrêmes. En un mot comme en cent, c’est un bijou de drôlerie, de fantaisie et de sensibilité particulièrement euphorisant. Alors, qu’attendez-vous ?


Note:


Critique: Professeur Grant

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