The Last Duel
Basé sur des événements réels, le film dévoile d’anciennes hypothèses sur le dernier duel judiciaire connu en France - également nommé « Jugement de Dieu » - entre Jean de Carrouges et Jacques Le Gris, deux amis devenus au fil du temps des rivaux acharnés. Carrouges est un chevalier respecté, connu pour sa bravoure et son habileté sur le champ de bataille. Le Gris est un écuyer normand dont l'intelligence et l'éloquence font de lui l'un des nobles les plus admirés de la cour. Lorsque Marguerite, la femme de Carrouges, est violemment agressée par Le Gris - une accusation que ce dernier récuse - elle refuse de garder le silence, n’hésitant pas à dénoncer son agresseur et à s’imposer dans un acte de bravoure et de défi qui met sa vie en danger. L'épreuve de combat qui s'ensuit - un éprouvant duel à mort - place la destinée de chacun d’eux entre les mains de Dieu.
I. Ridley
Scott, collection automne-hiver
Heureusement qu’il est là
Tonton Ridley, dernier des Mohicans en terres hollywoodiennes à proposer autre
chose, en termes de superproductions, que des métrosexuels accoutrés en collants
voulant sauver le monde à coup d’explosions d’effets spéciaux tape-à-l’œil. Et
il y a de quoi s’ébaudir car nous avons doublement de la chance cette année :
Sir Scott nous fait le plaisir de revenir non pas avec un, mais bien deux
longs-métrages. C’est Byzance ! Deux propositions cinématographiques
diamétralement opposées. A la fresque médiévale de ce mois d’octobre répondra
une chronique familiale toxique en novembre prochain. Mais avant d’entrer dans
la Maison des Gucci, le cinéphile féru du travail d’orfèvre réalisé par le stakhanoviste
britannique est invité à assister au Dernier Duel, un affrontement basé sur des
événements réels.
II. Justice
ordalique
Cet ultime
« Jugement de Dieu » oppose le chevalier Jean de Carrouges à l’écuyer
Jacques Le Gris, deux amis du front devenus ennemis par la suite. Une inimitié viscérale
qui atteindra une intensité paroxysmique lorsque Marguerite, l’épouse du
premier, est violée par le second. Alors que ce dernier récuse l’accusation, la
jeune femme meurtrie refuse de garder le silence, n’hésitant pas à dénoncer son
agresseur et à s’imposer dans un acte de bravoure et de défi qui met de facto
sa vie en danger. Chacun campant sur ses positions, l’issue de l’altercation
est placée dans la sphère céleste. Ainsi, en l’absence de preuve factuelle, la
justice en appelle à la force mystique de l’ordalie bilatérale. Le duel
judiciaire étant accordé, il revient au Tout-Puissant de désigner la partie
digne de confiance. Le vainqueur garde la vie et voit ses allégations
approuvées, jugées comme véridiques.
III. Règle
de trois
« The Last
Duel » se montre brillant à bien des égards. Mais c’est bien la structure
narrative singulière et surprenante reprenant le concept du film japonais
« Rashomon » qui retient toute notre attention. Un récit écrit à
trois mains, correspondant à trois points de vue d’un même fait divers. Un peu
plus de vingt ans après l’Oscar reçu pour le scénario méritoire de « Good
Will Hunting », le duo Matt Damon – Ben Affleck se reforme autour de ce
projet inattendu. Le tandem s’est attaché à décrire le regard des deux
combattants et s’est adjoint les services de la scénariste Nicole
Hologcener (le très beau All About Albert) pour mettre en avant la vérité
féminine qui catalyse les enjeux. Ce triumvirat fait des étincelles car il
réussit la gageure de captiver sans tomber dans l’écueil de la répétition. Un
véritable joyau d’écriture qui nous rappelle l’objectif que se fixe Ridley Scott
à chaque métrage, à savoir la recherche de cet « équilibre fragile entre le seuil d’emmerdement et la vraie
nature du film ». Précepte énoncé dans l’incroyable making of
« The Path of Redemption » du film « Kingdom of Heaven », un chef-d’œuvre
de documentaire que l’on vous recommande chaudement.
IV. Ludique
et captivant
Chapitré en trois parties
distinctes, le scénario déroule trois fois le même événement à travers les yeux
des trois protagonistes. Là où les auteurs réussissent leur pari, c’est que
chaque volet raconte la même histoire avec des nuances très subtiles qui
parviennent à nous dévoiler d’autres éléments de cette affaire. Car si les faits
semblent être les mêmes, les apparences, les non-dits, les semblants et autres
mécanismes comportementaux remettent tout en perspective et questionnent notre
jugement. Ce qui fait que sans accepter, nous comprenons les motivations de
chaque personnage. Un dispositif narratif en miroir à la fois ludique et
passionnant qui ne prend pas le spectateur pour un être bouché à l’émeri. Ce
parti pris permet en outre de rendre compte de la complexité des rapports
humains, chose relativement rare dans les blockbusters.
V. Un
film du passé conjugué au présent
Ce procédé habile,
militant et pertinent nous rappelle en sus l’importance qu’il faut accorder à
la perception des choses, à la subjectivité et aux réalités fantasmées. Une
manière également de donner voix au chapitre à Lady Marguerite qui, subissant
la condition féminine de l’époque dans une société ultra patriarcale, est
toujours passée au second plan, derrière ce fameux combat à mort. En la situant
au centre de toutes les attentions, les scénaristes posent un geste quasiment
politique : elle passe d’objet à sujet. Ainsi, ce drame historique
arrivant dans les salles obscures à une époque post-#MeToo fait de tourments et
de controverses n’est pas sans évoquer l’actualité et ses thématiques
sociétales : le féminisme et la virilité, la place et la parole laissées
aux femmes, la culture du viol et le consentement…
VI. Une
affaire de duels
S’il faut louer les
qualités intrinsèques de l’adaptation aux résonances très contemporaines, on ne
peut faire l’impasse sur la maestria de la mise en scène qui sublime ce drame
historique avec une puissance ténébreuse et une violence contenue d’une rare
intensité. Ainsi, quarante-quatre ans après son premier film, à savoir « Les
Duellistes » en 1977, Ridley Scott renoue avec les duels pour ce « Dernier Duel
» qui restera à coup sûr dans les mémoires des cinéphiles. Et ce faisant,
l’octogénaire (bientôt 84 ans !) montre à la jeune génération de cinéastes
qu’il a encore de beaux restes et qu’ils ne sont peut-être pas encore nés ceux
qui pourront prétendre à son héritage, au regard de sa filmographie à la fois
dense et éclectique.
VII. Who
else ?
Réalisation efficace
d’une rare élégance, direction artistique tirée au cordeau avec une
reconstitution historique irréprochable, interprétations phénoménales (on
retiendra la formidable subtilité du jeu de l’Anglaise Jodie Comer dans un rôle
compliqué), montage ric-rac, « The Last Duel » s’affiche comme un
véritable tour de force cinématographique. Si tout du moins vous parvenez à
fermer les yeux sur la coupe mulet « claqué au sol » de Matt Damon et
la teinte peroxydée de Ben Affleck ainsi que sur les conventions non
tenues : les personnages parlent en anglais… mais chantent en
français (!) Bref, du grand spectacle adulte, intelligent et fascinant sur
la grande Histoire comme La Mecque du cinéma n’en produit quasiment plus. Vivement
le prochain grand film historique. Son titre : « Kitbag » avec
Joaquin Phoenix de retour dans la peau d’un empereur (Napoléon) vingt-deux ans après
« Gladiator » de Sir Scott. Et qui sera derrière la caméra ?
L’incorrigible Tonton Ridley, encore lui. Who else ?
Note : ★★★★
Critique : Professeur Grant
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