Jurassic World: Dominion
Quatre ans après la destruction de Isla Nublar. Les dinosaures font désormais partie du quotidien de l’humanité entière. Un équilibre fragile qui va remettre en question la domination de l’espèce humaine maintenant qu’elle doit partager son espace avec les créatures les plus féroces que l’histoire ait jamais connues.
I. De Jurassic Park à Trevorrow
Land
N’y allons pas par quatre
chemins, « Jurassic World : Dominion » est le pire film de la
franchise. Voilà. C’est acté. Merci. Bonsoir. Plus sérieusement, c’est une saga
qui n’en finit plus de décevoir, chaque volet amenant son lot de frustrations,
d’incompréhensions et, de surcroît, de déceptions. Chaque opus creusant un peu
plus dans le puits sans fond de la bêtise. Tellement qu’on en vient à
réhabiliter le mal-aimé troisième épisode réalisé par ce bon vieux Joe
Johnston. Un réalisateur qui est parvenu bon gré mal gré à sauver les meubles
d’une production chaotique ; le scénario n’était pas terminé alors que le
tournage avait déjà débuté (!) Un cinéaste qui avait malgré tout compris ce qui
faisait l’essence de « Jurassic Park »… contrairement à Colin
Trevorrow, père scénaristique de la licence « World » qui, avec ce
« Monde d’après », prouve qu’en réalité il n’avait rien saisi. L’erreur
de casting dans toute sa splendeur ! Si son simili-reboot de 2015 faisait
illusion en tant que décalque cossard de l’œuvre fondatrice de 1993, la daube que
ce dernier nous pond cette fois-ci démontre en réalité qu’il avait tout faux.
Le travail de Juan Antonio Bayona, à la barre sur « Fallen Kingdom »,
qui avait quelque peu rectifié le tir en termes de mise en scène, paraît
tellement loin. Qu’est-ce qu’on a adoré le premier « Jurassic Park » !
Et qu’est-ce qu’on abhorre ce dernier « Jurassic World », qu’on
décide de rebaptiser « Trevorrow Land » tant le film et le tâcheron
derrière la caméra se montrent indignes du matériau original. On lui a dit
d’embrasser la mythologie, il a compris embarrasser les fans. Le boulet !
II. Welcome
to Bisounours Park
L’ambition de
« Dominion » est immense. La déception encore plus. Avec un peu de
recul, on peut épingler plusieurs aberrations, fourvoiements et autres mauvais
choix dans le chef du sieur Trevorrow. Une de ses principales erreurs : transformer
une franchise de films de monstres… en saga familiale (!) L’atmosphère pesante,
les scènes viscérales et l’effroi qui nous glaçait le sang ont laissé place à
l’aventure lisse et bon enfant sans une once d’hémoglobine, sans un soupçon de
frayeur. On en veut pour preuve les séquences où les personnages passent de vie
à trépas. Flashback : les « Jurassic Park » ont proposé des
destins funestes particulièrement originaux avec des scènes plutôt graphiques.
Cela faisait tout le sel de la première trilogie. On ignorait qui allait
survivre, car la menace était partout, le péril tout le temps. Les
« Jurassic World », et plus particulièrement ce troisième épisode
totalement aseptisé et cousu de fil blanc, ont globalement perdu la substance
horrifique et, ce faisant, renié l’héritage spielbergien. Welcome To Bisounours
Park ! Tous les personnages reçoivent l’immunité totale et le sentiment de
danger n’est jamais palpable.
III. Bardaf,
c’est l’embardée !
A trop regarder dans le
rétroviseur, Trevorrow en oublie le pare-brise. Et si ce dernier évite
l’accident industriel grâce à des grosses bébêtes qui fascinent toujours autant
les spectateurs du monde entier, faisant par conséquent le bonheur du
box-office et des exploitants de salles, il n’évite pas la sortie de route. Bardaf,
c’est l’embardée ! Car si on pouvait fermer les yeux sur le fade
fan-service du premier « World », ce nouveau tour de manège en fait
des caisses. C’est le culte du vide : clins d’yeux vains ad nauseam et
autres références dévitalisées en veux-tu en voilà inondent inutilement un
métrage qui piétine sans scrupule les symboles intouchables de l’œuvre
originale. Une triple couche indigeste pour satisfaire l’aficionado qui n’avait
rien demandé. Rendre hommage, c’est bien, mais faut-il encore savoir le faire,
ce qui n’est désespérément pas le cas de l’auteur-réalisateur, lequel possède
la subtilité d’une blague de Jean-Marie Bigard. On savait que ce n’était pas le
couteau le plus aiguisé du tiroir hollywoodien, mais là, on reste pétri
d’admiration. Ici, le fan-service est utilisé en dépit du bon sens, jamais pour
nourrir le récit, mais dans le seul et unique but de chatouiller l’épiderme des
thuriféraires. Et puis, soyons honnête, au troisième tour de piste, ce n’est
plus de l’ordre de l’hommage, mais bien du pompage sans vergogne. Un mauvais
disque rayé qui se répète inlassablement et trahit finalement un cruel manque
d'inspiration et de créativité. L’inanité de cette formule nostalgique finit par lasser.
IV. Une
vaste supercherie
L’inventivité, c’est clairement
ce qui fait défaut à ce nouveau triptyque. Et là encore, ce
« Dominion » s’affiche comme la quintessence de la paresse
artistique. Pire, la saga se renie elle-même. « Fallen Kingdom »
annonçait que la planète allait devenir le terrain de jeu des reptiles
préhistoriques et la licence n’aurait jamais aussi bien porté son nom de
« Jurassic World ». Sauf que… non. Pas d’apocalypse, aucune scène
dantesque de rencontres historiques entre humains devenus de la viande fraîche
pour les théropodes, pas de séquences hallucinantes mettant en scène le fameux
mosasaure, figurant de luxe des autres volets… Vous vous demandiez comment
cette cohabitation allait bouleverser l’écosystème et semer le chaos dans la
chaîne alimentaire ? La frustration vous attend ! Circulez, il n’y a rien
à voir. Ce « Monde d’après » n’a finalement rien de cauchemardesque. Colin
Trevorrow n’assume pas du tout la conclusion du précédent opus (le passé de
Maisie, la libération des dinosaures) et ne tient pas ses engagements. N’exploitant
pas pleinement les possibilités de son concept de base, le film se contente d’une
ellipse flemmarde de quatre ans, prétexte à des saynètes de vivre-ensemble avec
des créatures présentes uniquement pour booster une bande-annonce ainsi que la
vente de produits dérivés. Publicité mensongère, promesses non tenues, oui, il
y a tromperie sur la marchandise !
V. Absence
totale de densité d’écriture
Le récit,
particulièrement laborieux, s’affiche comme une vaste blague. Ecrit prestement à
coup d’énormités, on y retrouve des aberrations à foison, des incohérences à
profusion ainsi que des absurdités à discrétion. Les enjeux sont pauvres, le
suspense plat, l’aventure mollassonne, les dialogues désolants de niaiserie et
les effets spéciaux pas tous réussis (la chevauchée avec les parasaurolophus
pique aux yeux). La menace ne vient plus des terribles lézards mais… de grandes
et méchantes sauterelles préhistoriques (!). Oui, oui… L’écrire et le lire,
c’est déjà débile en soi, mais alors le voir sur grand écran ! Quant au plan
machiavélique du vilain de cette historiette de pacotille, il est complètement
foireux. D’ailleurs, sans doute conscient de la piètre qualité de son intrigue,
Trevorrow ne s’y attache pas des masses vu que tous les personnages avancent
sans trop saisir ce qu’ils font. Notre jean-foutre avait le monde devant lui et
pouvait dès lors s’éclater en termes de possibilités narratives et de mise en
scène pour imaginer des scènes d’action encore jamais vues à l’écran, mais non.
Ce dernier a préféré faire mumuse avec des insectes increvables et, comble du
comble, emmener son groupe de héros dans une réserve naturelle pour dinos.
Autrement dit, un parc. Bis repetita ? Complètement !
VI. Indigence
d’idées
Cette saga tourne en rond
et plus personne ne sait où donner de la tête. A l’image des figures
emblématiques de la première trilogie qui, bien qu’elles aient un temps d’écran
généreux, n’ont rien de consistant à jouer. Quel mépris pour ce trio
iconique ! Introduit sans une once de subtilité, Alan Grant, Ellie Sattler
et Ian Malcolm ne sont plus que l’ombre d’eux-mêmes, de pâlottes caricatures à
peine reconnaissables. Gênant de voir les acteurs s’embourber dans de telles
mésaventures ! Déjà bien encombré par ses nombreux héros, Trevorrow se
tire une balle dans le pied en rajoutant des seconds rôles creux et
superfétatoires (les déjà-vu Omar Sy et BD Wong, mais aussi de nouveaux venus
peu mémorables). Leurs motivations n’ont ni queue ni tête et ils semblent
tomber dans le récit comme par magie. Bref, le scénario est d’une indigence
telle qu’on peine à comprendre comment un Steven Spielberg, toujours attaché à
ce projet foireux en tant que (apparemment très lointain) producteur exécutif,
a pu valider une telle ineptie. Comment ce dernier a-t-il pu donner un
blanc-seing à cet emplâtre de Trevorrow ? L’incompréhension est
totale !
VII. Une
effarante démonstration d’impéritie
Son scénario prend la
forme d’un acte manqué. Si sa veulerie dans l’écriture était compensée par un
certain savoir-faire dans la mise en scène, on pourrait éventuellement trouver
quelque chose à becqueter, mais ce n’est même pas le cas. Ce dernier réalise
avec un certain nonchaloir qui a de quoi faire bondir au plafond tous les
ciné-dinosophiles. Une effarante et vertigineuse démonstration d’impéritie !
Là où un Steven Spielberg et, dans une moindre mesure, un J.A. Bayona jouent
avec les lumières, les grandeurs d’échelles, la suggestion, pour susciter la
terreur, le suspense, la surprise, Colin Trevorrow, lui, se contente de filmer
platement les dinosaures, se foutant éperdument de la grammaire
cinématographique et de ses possibilités en termes narratifs. Sa gestion des
dimensions est à ce titre catastrophique, ne donnant jamais l’impression de
gigantisme des dinosaures. Il n’a aucun sens de l’espace ni du rythme. Quand on
compare ce que Tonton Spielby a réalisé, avec les moyens techniques limités de
l’époque, à propos du tyrannosaure et ce que fait Trevorrow avec le
giganotosaure et ses possibilités numériques infinies, on est sidéré par tant
d’incompétence et d’absence de créativité. Le montage est lui aussi
problématique. Les coupures trop rapides dans les scènes empêchent
l’installation de toute ambiance. Un déficit d’atmosphère qui nuit terriblement
à la tension, jamais palpable dans ce piètre spectacle. Pauvre, brouillonne et
jamais à la hauteur du projet, la réalisation se montre incapable d’icôniser
les créatures et de faire ressentir le moindre frisson aux spectateurs. Le
climax est à ce titre complètement raté, l’Américain y démontrant toute
l’étendue de son non-talent.
VIII. Un
bouquet final qui fait pschitt !
Le film se vautre sur son
incurable médiocrité. Si celui-ci mérite qu’on tire à boulets rouges tant il
prend ses fans et, plus largement le tout-regardant, pour des êtres bouchés à
l’émeri, on peut éventuellement en sortir quelques éléments positifs : le
renouveau du bestiaire préhistorique (vous y croiserez dimétrodons,
atrociraptors, pyroraptores, quetzacoatlus, dreadnoughtus ou encore un
terrifiant therizinosaurus), la générosité dans l’action et l’aventure, l’une
ou l’autre scène trépidante (la course-poursuite à Malte), l’utilisation des
animatroniques pour donner un rendu plus réaliste. Un maigre lot de consolation
pour une superproduction bancale qui approche les deux heures trente, par
ailleurs la plus rasoir de la licence. Quand nos yeux ne se levaient pas au
ciel, nos paupières, alourdies par la stupidité de l’histoire, peinaient à
rester ouvertes. Trop conscient de sa nature de suite censée clore une franchise
étalée sur presque trente ans, ce sixième « Jurassic » en a
complètement oublié d’être une œuvre singulière qui pouvait apporter un tant
soit peu de nouveautés dans la dramaturgie, les thématiques ou la mise en
scène. On nous vantait une conclusion épique, c’est in fine un bouquet final
qui fait pschitt ! Si la vie trouve toujours un chemin, Colin Trevorrow,
lui, s’est complètement fourvoyé, se retrouvant seul, dans son propre monde,
perdu.
Note : ★
Critique : Professeur Grant
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