The Zone of Interest

 


Le commandant d’Auschwitz, Rudolf Höss, et sa femme Hedwig s’efforcent de construire une vie de rêve pour leur famille dans une maison avec jardin à côté du camp.



The Zone of Interest, notre Palme d’or

Comme à l’accoutumée ou presque sur la Croisette, l’œuvre la plus intéressante du palmarès du Festival de Cannes est à aller chercher du côté du Grand Prix. L’année dernière, le jury présidé par le Suédois Ruben Östlund (l’incroyable satire Triangle of Sadness) a préféré palmer Anatomie d’une chute plutôt que l’électrochoc The Zone of Interest, reparti avec la simili médaille d’argent, reconnaissance tout de même prestigieuse quand on sait que derrière elle se cache souvent la véritable récompense suprême.

Au centre du nouveau long-métrage signé Jonathan Glazer (le déroutant Sexy Beast), le quotidien de la famille du commandant SS d’Auschwitz-Birkenau, Rudolf Höss. L’obersturmbannführer et sa femme Hedwig s’efforcent de construire une vie bucolique de rêve pour leurs enfants dans une coquette villa, avec un mirifique jardin d’Eden, située à proximité immédiate du camp. Le pitch est aussi imparable que l’affiche du film, laquelle illumine le petit havre de paix verdoyant jouxtant la demeure domestique, l’ensemble étant entouré d’un aplat noir écrasant et anxiogène.

L'effroyable banalité du mal

Ainsi, le synopsis et le poster traduisent parfaitement la note d’intention du cinéaste. Accompagné de son chef opérateur Łukasz Żal (le très beau Ida), il met en lumière ce qui se joue intra-muros et laisse le soin aux spectateurs d’imaginer ce qui se réalise extra-muros. Pour rendre compte de l’effroyable « banalité du mal » décrite par la philosophe juive Hannah Arendt, le Britannique met en place un dispositif filmique expérimental, à la fois radical, épuré et ingénieux, qui privilégie les longs plans fixes et prouve la puissance du hors-champ.

Evitant l’écueil du voyeurisme au moyen d’une mise en scène intelligente qui suggère plus qu’elle ne montre, Glazer capte l’innommable avec une justesse et une pertinence qui forcent le respect. Notons-le, la simplicité suggestive des images suscite le malaise, voire dérange profondément : la fumée s’échappant d’une locomotive qui arrive au camp, la vision d’une cheminée d’un four crématoire en action, un nuage gris se formant dans le ciel azure, le changement de couleur d’une rivière souillée de cendres…

Une expérience sensorielle éprouvante

L’horreur est invisible, mais assourdissante. L’ambiance sonore du film, portée par la partition musicale dissonante de Mica Levi (déjà à l’œuvre sur Under The Skin du même réal’) et convoquant notre mémoire collective à propos de la solution finale, s’avère d’une glaçante force évocatrice. Au moyen d’un travail remarquable réalisé en post-production sur le montage et le mixage son, le réalisateur propose de vivre une expérience sensorielle éprouvante. Les bruits sourds associés à la mécanique industrielle de déshumanisation ne cessant jamais, le spectateur, claquemuré dans la salle obscure, est amené à ressentir ne serait-ce qu’une infime partie de l’insoutenable réalité concentrationnaire.

Puis, embarqués par ce qui nous est conté, à savoir la normalité insensée du train-train quotidien de la famille Höss, nous nous habituons à ce bruit de fond permanent, au point de ne plus l’entendre, nous mettant alors dans la peau des protagonistes qui se sont parfaitement accommodés à ce vacarme incessant. Ainsi, sans avoir recours à l’empathie, le metteur en scène nous connecte à ces tortionnaires (aux antipodes des clichés et poncifs cinématographiques sur la représentation des nazis) et démontre la folle capacité d’adaptation à son environnement de l’être humain, même au cœur de l’ignominie. Seul un hurlement ou un coup de feu viendra nous sortir de notre torpeur de spectateur apathique.

Un tour de force magistral

Prenant soin de ne pas esthétiser le moindre élément de la terreur génocidaire, Jonathan Glazer réussit, avec The Zone of Interest, à contourner, non sans maestria, la question du visible et du non-montrable sur grand écran, tout en parvenant à évoquer l’indicible. Un tour de force magistral qui n’est pas sans rappeler le geste formel clinique et la dextérité technique de l’incontestable chef-d’œuvre Saul Fia du Hongrois László Nemes, lui aussi, naguère, auréolé du Grand Prix en terre cannoise. Comme susmentionné, le Grand Prix, c’est la Palme d’or. CQFD.

Note : 
Critique : Professeur Grant

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