L'Amour Ouf
Les années 80, dans le nord de la France. Jackie et Clotaire grandissent entre les bancs du lycée et les docks du port. Elle étudie, il traine. Et puis leurs destins se croisent et c'est l'amour fou. La vie s'efforcera de les séparer mais rien n'y fait, ces deux-là sont comme les deux ventricules du même cœur...
Un Lellouche peut en cacher un autre
Dans la grande famille du
septième art, un Lellouche peut en cacher un autre. Tous les cinéphiles
citeront papy Claude, dont le patronyme s’écrit différemment d’ailleurs, mais
le commun des mortels épinglera d’autres prénoms, comme Camille, Philippe ou
encore Gilles. En passant, seuls les deux derniers ont un lien de parenté. Si
tout le monde a déjà vu une fiction avec Gilles Lellouche devant la caméra, peu
savent que ce dernier possède déjà une solide expérience derrière le moniteur.
Après l’un ou l’autre vidéoclip
remarqué, à l’image du cultissime That’s
My People de NTM qui tournait en boucle sur la petite lucarne de votre
humble serviteur à la fin des nineties (merci
MCM), le réalisateur s’est lancé, par deux fois, dans l’aventure du
long-métrage : le sous-estimé Narco,
coréalisé avec son ami d’enfance Tristan Aurouet, et le formidable feel-good movie aquatique Le Grand Bain, en solo. Deux comédies qui
ont comme dénominateur commun notre Benoît Poelvoorde national.
A ce propos, le Namurois est une
figure incontournable de la carrière du Caennais. Non seulement il lui a sauvé
les miches sur son premier film, lorsqu’un acteur a fait faux bond à la
production en dernière minute, mais en sus, le Belge lui a offert, il y a
dix-sept ans, un roman qui allait particulièrement résonner en lui, à savoir Jackie Loves Johnser Ok ?, signé Neville
Thompson. Traduction : L’Amour Ouf.
Gilles en rêvait, Lellouche l’a fait : l’adaptation cinématographique
débarque dans les salles obscures.
Coup (de cœur) sur coup (de poing)
Récit coup de foudre, film coup
de cœur, œuvre coup de poing, L’Amour Ouf
sue la passion par tous les pores. Amoureux transi du livre, Gilles Lellouche
s’approprie cette love story épique
et contrariée, s’y livre comme jamais en y injectant tout son être, toute sa
violence, toute sa tendresse, toutes ses marottes aussi, ainsi que ses envies
de cinéaste. Un appétit de cinoche injecté dans les moindres détails de la
pellicule. Du mouvement, du rythme, des idées folles, des propositions
inspirées, des plans d’une beauté à couper le souffle, cette adaptation aux
ambitions formelles hénaurmes transpire
d’une générosité débordante qui subjugue, émeut et captive autant qu’elle
éreinte.
A travers sa fresque sentimentale,
et en deux heures quarante montre en main, le réalisateur tente de raconter les
années 80 dans le nord de l’Hexagone. Son angle ? Les jeunes mirettes du
duo Jackie et Clotaire tentant vaille que vaille de s’extraire du déterminisme
social qui les contraint à une existence sans saveur. Ces deux-là grandissent
entre les bancs de l’école et les docks de l’environnement portuaire. Elle
potasse ses cours, il zone dans le quartier avec ses potes. Soudain, leurs chemins
se croisent. Et c'est l’amour fou. Au premier regard. Si la vie s’efforce de
les séparer, le destin s’applique à les réunir, « comme s’ils étaient les deux ventricules d’un même cœur »,
dixit Lellouche.
Un joli cœur incarné, dans les eigthies, par les révélations Mallory
Wanecque-Malik Frikah, tous deux hypnotisants de vérité dans leur jeu, et le
duo Adèle Exarchopoulos-François Civil dans la partie nineties, ces derniers rappelant à qui veut bien le voir qu’ils ne
sont pas les coqueluches du cinéma français pour rien. Mais, globalement, c’est
tout le casting qui illumine ce mélo : Benoît Poelvoorde, Alain Chabat, Raphaël
Quenard, Jean-Pascal Zadi, Vincent Lacoste forment une galerie de personnages
inoubliables, qui déambulent au son d’une bande originale éclectique, dans
laquelle on retrouve notamment The Cure, Prince, Deep Purple, Billy Idol ou
encore les frenchies casqués de Daft
Punk.
Un plaisir de cinéma oufissime
L’Amour Ouf n’est pas exempt de tout défaut. Outre le tableau de
certains clichés et autres poncifs regrettables, il y a des ratés, des scènes
superfétatoires, des séquences boursouflées. A trop faire de l’épate, Lellouche,
en mode « prouveur », en oublie ses personnages. Si le film n’entend
pas être d’une grande subtilité avec l’un ou l’autre effet de manche maladroit,
il s’embourbe parfois dans des élans emphatiques qui plombent son récit. Mais
tout est pardonné, car sa générosité et son énergie emportent tout sur leur
passage et nous transportent sans trop forcer au cœur de cette vertigineuse
épopée romantique. Le Français offre ni plus ni moins qu’un geste de cinéma oufissime, avec toute la démesure que
sous-entend son titre.
Note : ★★★★
Critique : Professeur Grant
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