Au Revoir Là-Haut
Novembre 1919. Deux rescapés des tranchées, l'un dessinateur de génie, l'autre modeste comptable, décident de monter une arnaque aux monuments aux morts. Dans la France des années folles, l'entreprise va se révéler aussi dangereuse que spectaculaire.
I. Au
revoir là-haut
Avec la satire sociale
« Au Revoir Là-Haut », Albert Dupontel signe non seulement son film
le plus ambitieux mais aussi le plus abouti. Qu’on se le dise, ce dernier livre
sa plus belle copie en tant que réalisateur. En adaptant avec brio le roman
éponyme de Pierre Lemaitre, prix Goncourt 2013, le Français a déniché le
terrain de jeu idéal pour laisser s’exprimer son tempérament révolté, son
esprit anar, son sens de la démesure mais aussi ses envies de cinéma. Inventer,
imaginer, innover, sa fougue créatrice est insatiable. D’ailleurs, son métrage
transpire d’idées, de trouvailles, de références, d’hommages liés au septième
art. Il n’y a pas un seul plan qui ne soit pas le fruit d’un long processus de
recherche, d’un travail acharné, que ce soit lors de la pré-production, pendant
le tournage ou en salle de montage. Les placements de caméra, la direction
d’acteur, le choix des décors et des costumes, les effets spéciaux, la
documentation et la reconstitution historique ou encore les partis pris
stylistiques, tout semble finement étudié pour raconter de la plus brillante
manière cette histoire édifiante.
II. La
Der des Ders
D’entrée de jeu, le
quinquagénaire plonge le spectateur dans l’enfer de celle qui devait être la
Der des Ders. Au cœur des tranchées, dans la boue et le sang, on fait la
connaissance de deux poilus, Albert et Edouard. Le premier est un modeste
comptable sauvé d’une mort certaine par le second, dessinateur de génie et fils
de la haute bourgeoisie. Un acte de bravoure qui va lui coûter cher : un éclat
d’obus lui défonce la mâchoire. Se sentant infiniment redevable, Albert prend
soin d’Edouard et une amitié se tisse entre les deux soldats. Au sortir de la
Grande Guerre, face à l’incapacité de la société française de leur ménager une
place dans un environnement rongé par la misère et le chômage, le duo de
rescapés décide de monter une escroquerie aux monuments aux morts, ciblant les
tenants d’un patriotisme de pacotille, à l’image du père d’Edouard, avec qui ce
dernier est en froid. Dans l’Hexagone des années folles, l’entreprise va se
révéler aussi dangereuse que spectaculaire.
III. Nahuel
Perez Biscayart et… Charlie Chaplin
Exit le Belge Bouli
Lanners, trop épuisé pour repartir sur les plateaux, c’est Dupontel himself qui endosse le costume d’Albert.
Appliqué, nonobstant la logistique monstrueuse que génère une production de
cette ampleur, le Français performe sur les deux tableaux : la comédie et
la mise en scène. Boosté par l’implication sans borne de son chef d’orchestre,
le reste de la distribution hausse son niveau de jeu. La révélation de
« 120 Battements par Minute » Nahuel Perez Biscayart, alias Edouard,
fait des miracles avec un personnage peu évident car mutique et caché derrière
un masque. Cette graine de star argentine dépasse la gageure artistique et
parvient à véhiculer des émotions grâce à la sincérité de son jeu physique (la
posture, l’attitude, le regard…), rappelant à s’y méprendre le cinéma muet et
le souvenir d’un certain Charlie Chaplin.
IV. Bas
les masques !
La suppression de la voix
est ici contrebalancée par un éveil du corps et une gestuelle que le cinéaste a
voulu rapprocher de la commedia dell’arte. Et, toujours dans cette optique de
traduire au mieux un personnage de roman en un héros de cinéma, le réalisateur
a fait appel aux précieux services de la talentueuse Cécile Kretschmar pour la
confection des masques portés par le protagoniste. Cette artiste chevronnée
issue du milieu du théâtre et de l’opéra a réalisé un travail extraordinaire en
créant une vingtaine de visages, lesquels expriment les affres et les états
d’âme de celui qui doit désormais vivre avec une « gueule cassée ». Signalons
encore la présence au générique de Laurent Lafitte, à son meilleur, à la fois délectable
et détestable à souhait en crapule de la pire espèce.
V. Lyrisme
vs Naturalisme
Mieux qu’une adaptation plan-plan,
Albert Dupontel s’approprie véritablement ce best-seller et le condense pour en
tirer l’essence même du matériau - sa puissance narrative et sa force
pamphlétaire -, quitte à changer le dénouement de l’histoire et à revoir la
structure. Toutefois, il veille bien à le faire sans dénaturer le propos ni la
charge politique de l’ouvrage. Aventure, humour, poésie et émotion se
conjuguent alors dans cette fresque picaresque emballée dans l’écrin d’une mise
en scène virtuose. Et c’est là tout le génie formel du metteur en scène qui
s’exprime, loin de tout naturalisme, militant davantage pour l’approche lyrique
et le romanesque. Plans-séquences, plongées, contre-plongées etc., le
réalisateur, au sommet de sa verve, se réinvente sans cesse et s’octroie toutes
les fantaisies, jusqu’à s’offrir des mouvements de drones, affirmant par la
même occasion l’importance du regard imaginaire, laquelle traverse l’ensemble
de sa filmographie.
VI. Couleur,
grain, patine
Enfin, le soin tout
particulier apporté à l’image (le travail sur la couleur, le grain et la patine
est remarquable), le sens du cadre et, plus globalement, l’élégance de la
direction artistique ainsi que l’inventivité constante de la mise en scène font
de cet esthétisant et burlesque « Au Revoir Là-Haut » un objet
singulier dans le paysage cinématographique français. Une réussite !
Note : ★★★★
Critique : Professeur Grant
Il est top. J'aime rarement les films français pourtant.
RépondreSupprimer