Poor Things
Bella est une jeune femme ramenée à la vie par le brillant et peu orthodoxe Dr Godwin Baxter. Sous sa protection, elle a soif d’apprendre. Avide de découvrir le monde dont elle ignore tout, elle s'enfuit avec Duncan Wedderburn, un avocat habile et débauché, et embarque pour une odyssée étourdissante à travers les continents. Imperméable aux préjugés de son époque, Bella est résolue à ne rien céder sur les principes d’égalité et de libération.
Yórgos Lánthimos
présente ses Pauvres créatures
Ecrivons-le d’emblée, le cinéma de Yórgos Lánthimos, on aime
ou on n’aime pas. De notre côté, on apprécie le travail du Grec. Si The Lobster et The Killing of a Sacred Deer nous ont convaincus de suivre de très (très !)
près ce cinéaste de l’étrange et de l’absurde, rien ne nous préparait à la
claque que fut l’Oscarisé The Favourite,
chef-d’œuvre inestimable à chérir précieusement dans sa blu-raythèque. Une dramédie
satirique en costume qui nous a, entre autres, fait découvrir une nouvelle
facette d’Emma Stone, laquelle semble être devenue la muse du réalisateur.
Avant de la retrouver dans son prochain long-métrage, Kind of Kindness, déjà tourné, le cinéphile
aura l’occasion de l’apprécier dans Poor Things
(Pauvres créatures). Elle endosse derechef un rôle de composition, celui de
Bella, cousine spirituelle de Frankenstein. Si cette adaptation du roman
homonyme signé Alasdair Gray ne sort que dans un peu moins d’un mois dans les
salles obscures du royaume, on vous dévoile d’ors et déjà notre critique en primeur.
Bella par Emma
Après avoir été couronné du Lion d’Or dans la Cité des
Doges, lors de la dernière Mostra, et fait salles combles par deux fois au Film
Fest Gent, il est peu dire que le nouveau Lánthimos était attendu. Et de fait,
c’est encore une fois une régalade. Au cœur de ce conte de fée bizarroïde et
excentrique, Bella donc (irrésistible Emma Stone). Une jeune femme ramenée à la
vie par le brillant et peu orthodoxe anatomiste Dr Godwin Baxter, alias Willem
Dafoe, aussi flippant que touchant. Pour ce faire, le savant fou réalise une
greffe de cerveau.
Au début de l’expérience, notre cobaye a l’âge mental d’une
fillette. Sous la protection de celui qu’elle appelle « God », cette femme-enfant
désinhibée et délurée a soif d’apprendre. Avide de découvrir le monde dont elle
ignore tout, celle-ci s'enfuit avec Duncan Wedderburn (truculent Mark Ruffalo
dans un exercice périlleux de cabotinage), un viveur roué et débauché, et
embarque pour une odyssée émancipatrice.
Pied de nez au
patriarcat
Il y a quelque chose de libérateur, voire féministe, dans
l’épopée initiatique et grisante de Bella. Imperméable aux préjugés de son
époque, notre héroïne semble déterminée à ne rien céder sur les principes
d’égalité et d’émancipation. Confrontée dès ses premiers pas hésitants à la
violence misogyne, cette dernière s’affranchit, avec une fougue désinvolte des
plus jouissives, des codes sexistes imposés par le patriarcat pour mieux se
reconstruire selon ses propres règles, ses envies et ses choix.
Elle va également se délivrer des relations coercitives et du
contrôle exercés par les hommes qui l’entourent : du père-créateur démiurge
qui en dispose comme de sa chose, de l’amoureux-transi qui lui impose une
certaine morale ou encore de son amant abusif qui ne la voit que comme un objet
de désir. Tous y perdront des plumes. Au gré de ses pérégrinations et de ses
rencontres, Bella va ainsi se révéler, agir sans honte et sans vergogne, libre
de toute convention, et devenir autonome, indépendante, notamment en se
réappropriant sa sexualité et en affirmant son identité.
Une leçon d’acting
Comment jouer un bambin claquemuré dans un corps de
femme sans virer dans le grotesque ? Telle est la gageure qui s’est
imposée en amont du tournage. Une héroïne particulièrement difficile à interpréter,
car il naît de nulle part et s’inscrit dans une constante évolution. Un
protagoniste casse-gueule qu’incarne brillamment une Emma Stone toute en
animalité. La comédienne livre un formidable travail sur la physicalité du
personnage ainsi que sur une certaine forme d’authenticité fruste. Celle à qui
nous prédisons déjà une deuxième statuette dorée après celle glanée pour La La Land, se dépense sans compter, se donnant
corps et âme dans une performance aussi impressionnante que follement hilarante.
Une leçon d’acting qui restera, à coup sûr, dans les annales au même titre que
Johnny Depp, jadis, lorsqu’il jouait des ciseaux dans Edward Scissorhands.
Derrière la caméra, Yórgos Lánthimos pousse le curseur au
maximum quitte à laisser de côté certains spectateurs peu habitués à son humour
noir et ses exubérances formelles (l’utilisation du noir et blanc ou encore,
comme dans The Favourite, d’un
objectif fisheye, donnant une image
sphérique quelque peu obturée). Aussi excessif dans sa dimension plastique que
transgressif dans le fond, Poor Things,
c’est surtout du cinéma iconoclaste et anticonformiste qui vient souffler un
vent d’air frais dans une production cinématographique contemporaine des plus consensuelles.
Fable surréaliste
Ce qui marque le plus la rétine, c’est la direction
artistique foisonnante et particulièrement inspirée. Influencée par les
surréalistes du siècle passé, l’imagerie onirique proposée par le metteur en
scène, qui s’amuse avec les jeux de lumière et la colorimétrie, est d’une
flamboyance enthousiasmante à couper le souffle. Les décors somptueux, les
costumes extravagants, les matte
paintings renversants, les effets numériques hallucinants ou encore
l’incroyable bestiaire façon foire aux monstres sont autant d’éléments spectaculaires
qui participent à cette impressionnante fantaisie visuelle dans laquelle se
croisent le style victorien, l’Art nouveau ainsi que quelques touches
rétrofuturistes. A ce propos, le segment lisboète vaut absolument le coup d’œil
et justifie à lui seul l’achat du ticket de cinéma.
Avec cette fable subversive et détonante sur le destin hors norme,
imprévisible et captivant de la drôle et touchante Bella, Yórgos Lánthimos
entrecroise à la fois le fantastique, la comédie horrifique et les péripéties
pittoresques en embrassant une esthétique démente qui marquera durablement les
mirettes des cinéphiles. Si on peut regretter un épisode un brin longuet et
répétitif dans la Ville Lumière, l’ensemble se tient parfaitement grâce à un
scénario bien ficelé, des dialogues percutants et un montage dynamique qui font
passer les deux heures vingt en un clin d’œil. Ne cherchez pas, la première
claque de 2024, c’est Poor Things !
Note : ★★★★
Critique : Professeur Grant
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