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Bilan 2014 - le "Top 10" du Professeur Grant
2014
s’achève, 2015 débute et les cinéphiles, traditionnellement, en
profitent pour dresser le bilan de l’an écoulé. Comme à
l’accoutumée, le Professeur Grant s’attelle à la tâche. Qu’on
se le dise, 2014 ne restera pas dans les annales du septième art. On
ne retiendra pas grand-chose de cette année cinématographique
particulièrement pauvre voire fadasse. Délicat dès lors de
réaliser un «Top 10» un tant soit peu pertinent. De mémoire,
on n'a plus connu pareille situation depuis… (belle lurette?).
Bref, cela ne doit pas occulter les belles pépites découvertes
durant ces douze derniers mois avec notamment deux chefs-d’œuvres
incontournables à la clef: "The Wolf of Wall Street" de
Martin Scorsese et "Boyhood" de Richard Linklater.
Par
ici pour notre bilan en dix films à (re)voir:
1.
The Wolf of Wall Street
Vu
le 1er janvier 2014, on se disait déjà qu’on tenait là sans
doute l’un des meilleurs films de l’année. Au soir de ce
31décembre, le verdict tombe: aucun autre métrage n’a pu le
déloger de sa place de leader. Dans «The Wolf of Wall Street», il
n’y a strictement rien à jeter. La mise en scène virtuose de
Martin Scorsese, le montage intelligent, le scénario dense, les
interprétations mémorables de Léonardo DiCaprio, Jonah Hill ou
Matthew McConaughey, la bande originale rock… Revenons un moment
sur ce chef-d’œuvre.
Frasques,
vices, débauche, stupre, dépravation etc., Scorsese se fout de la
censure, se moque du puritanisme américain et se joue du
qu’en-dira-t-on avec une liberté frondeuse, une fougue séditieuse,
un affranchissement personnel qui lui fait retrouver ses jeunes
années de réalisateur assoiffé de cinéma. Et il l’accomplit
avec un plaisir communicatif qui passe à travers l’écran. Son
sens de l’image et du montage se révèle brillant tandis que sa
mise en scène est à la hauteur des exubérances du protagoniste que
l’on pourrait facilement résumer par l’apophtegme suivi à la
lettre par tout bon millionnaire mégalomane et borderline qui se
respecte: sex, drugs & rock’n roll.
Jouissif.
Purement et simplement jouissif, répétons-le! «The Wolf of Wall
Street» dure trois heures mais jamais un film aussi long n’est
passé aussi vite. Généralement, la durée importante d’un
métrage est un contre-argument. Ici, c’est l’inverse. La
dimension cathartique du récit fonctionne à merveille. On se plait
à vivre par procuration les innombrables incartades et fredaines
(bacchanales endiablées, lancées de nains, rail de cocaïne à même
l’anus d’une nana, luxure à gogo et autres déviances amorales
en veux-tu en voilà) d’un antihéros fat, lubrique et cupide qui
se rappelle que «more is never enough». Une sorte de caricature des
vaniteux «golden boys» de la finance des années 90 qui voyaient la
bourse comme un gigantesque eldorado.
Le
rythme effréné, les seconds rôles savoureux (un tordant Jonah
Hill, un inoubliable Matthew McConaughey qui recommande vivement
l’onanisme et l’excellent Jean Dujardin en banquier suisse
véreux), l’incontournable bande originale (qui convie notamment
Plastic Bertrand, Umberto Tozzi ainsi que les Foo Fighters) et
surtout, une histoire délirante entre décadence et fulgurance, tels
sont les points forts d’une œuvre étourdissante qui doit se
regarder comme une satire démonstrative de l’Amérique face au
capitalisme.
2.
Boyhood
Expérience
cinématographique troublante et approche artistique unique s’il en
est, «Boyhood» vaut le coup d’œil à plus d’un titre. Pendant
2h45, le spectateur voit défiler devant lui les différentes étapes
clefs du périple initiatique d’un jeune garçon qui passe de
l’enfance à l’adolescence et enfin à l’âge adulte.
Pour
capter cette chrysalide, Richard Linklater, (déjà à l’origine
d’une œuvre sur le temps qui passe avec la trilogie «Before»
Sunrise, Sunset, Midnight) a été frappé par une idée de génie.
Le Texan a décidé de filmer les mêmes acteurs pendant douze
années. Les derniers tours de manivelle ont été donnés en octobre
dernier. Un dispositif hors-norme aussi expérimental que génial.
Simple et compliqué à la fois, audacieux mais casse-gueule, le
concept se révèle être un pari hasardé et hasardeux pour tous les
membres de la production. Mais parfois les défis les plus fous
engendrent les plus grands films. Et «Boyhood» l’est assurément.
Si
le procédé a déjà été utilisé maintes fois dans le
documentaire, c’est la première fois, à notre connaissance,
qu’une fiction est racontée à travers un tournage-fleuve d’une
dizaine d’années. Le metteur en scène estimant, à raison, que
c’est la seule manière de saisir le temps qui passe. Sans trucage,
sans artifice, sans fioriture. Mais avec une patience, une
intelligence et une sensibilité qui transcendent le genre du «coming
of age movie» Et ce réalisme se voit et se ressent indéniablement
à l’écran.
A
l’heure où l’industrie cinématographique s’embourbe toujours
un peu plus dans une panne d’inspiration généralisée à tous les
studios (sequel, prequel, remake, reboot et j’en passe), à l’heure
où tout doit rapporter gros le plus vite possible avec le box-office
du mercredi comme référence pour encourager ou tuer la carrière
d’un film, à l’heure où la vélocité d’exécution supplante
la prise de réflexion, «Boyhood» s’affiche d’emblée comme un
projet miraculeux et diablement original avec son budget riquiqui et
son «hénaurme» concept.
A
travers ce métrage et grâce, d’une part, à un sens aiguisé du
casting (les révélations Ellar Coltrane et Lorelei Linklater, fille
du réal', la rayonnante Patricia Arquette et l’excellent Ethan
Hawke) et, d’autre part, à la magie d’un montage soigné, le
cinéaste montre l’extraordinaire dans l’ordinaire et, in fine,
questionne sur notre rapport au temps. Insidieusement, la pellicule
se déroule, les enfants grandissent, les morphologies changent, les
adultes vieillissent, les rides apparaissent, les modes se chassent
les unes les autres, les hommes politiques aussi.
Écrit
au fur et à mesure sur base d’un matériau évolutif selon les
apports des acteurs, Richard Linklater livre un récit mélancolique
qui touche au cœur et à l’universel. Car à travers l’odyssée
existentielle de Mason, c’est le passé du spectateur qui resurgit.
Le cinéaste filme ses personnages imparfaits avec un regard
bienveillant bourré de tendresse et évite l’écueil des clichés
et autres situations attendues (mariage, divorce, première fois
etc.) au moyen d’ellipses usées à bon escient. Et le cinéphile
de se dire qu’il n’a pas volé son Ours d’Argent du meilleur
réalisateur au dernier Festival de Berlin.
En
deux mots, «Boyhood» est une autopsie au scalpel aussi épique que
profondément intime de l’évolution d’une famille américaine
lambda sur douze années. Un film d’une rare intensité
émotionnelle à ne surtout pas manquer.
3.
Deux Jours, Une Nuit
Comme
à l’accoutumée chez les frères, le récit est simple. Mais les
réalités décrites, elles, sont complexes. Les metteurs en scène
ne s’écartent jamais de la trame principale. Pas d’histoires
parallèles, pas de seconds rôles anodins. Le cinéma des Dardenne
est frontal. Ils prennent leur sujet à-bras-le-corps et construisent
un suspense implacable entretenu jusqu’à l’issue. Un cinéma
sans concession. Un cinéma social, oui, mais un cinéma ancré dans
le réel. Un cinéma-vérité qui dépeint les crises liées à un
modèle capitaliste à bout de souffle mettant les travailleurs en
concurrence au nom d’impératifs libéraux. Si les frères arrivent
à toucher les spectateurs au plus profond de leur âme, c’est
parce qu’il n’y a pas de fioritures que ce soit dans la mise en
scène, épurée, ou dans la narration, sans fausse note. Les
émotions ne sont pas fabriquées. Il n’y a pas de musique, pas de
pathos, pas d'artificialités. Les sentiments émergent de situations
concrètes auxquelles on pourrait tous être confrontés.
II
n’y a pas d’héroïsme à deux balles non plus, ni de facilités
dans l’écriture. Chez eux, l’émotion se fait toujours complice
de la raison. Les cinéastes s’efforcent de ne pas verser dans le
manichéisme primaire en prenant soin notamment de ne pas juger les
personnages. Ils démontrent également à quel point il est
difficile de recréer de la solidarité dans un système comme le
nôtre où la peur règne au sein des sociétés. Le spectre du
chômage continuant de hanter les marchés du travail. Fer de lance
de ce néoréalisme, et nonobstant leur renommée internationale,
rien ne pourra entraver l’intégrité des Dardenne. Leur vision du
monde du travail, des ressources (in-)humaines, de la lutte sociale,
des comportements et interactions est à la fois précise et
subtile.
On
le sait, Marion Cotillard est capable du pire (The Dark Knight Rises)
comme du meilleur (The Immigrant). Tout dépend de la personne
derrière la caméra. Certains réalisateurs sont des artisans de la
mécanique, d’autres sont de formidables directeurs d’acteurs et
rares sont ceux qui allient les deux qualités (le premier qui nous
vient en tête: Steven Spielberg). Les Dardenne, eux, ont prouvé
toute leur virtuose à pouvoir rechercher le meilleur de chacun des
comédiens avec qui ils ont tourné, qu'ils soient confirmés ou
amateurs. Jerémie Renier, Emilie Dequenne, Olivier Gourmet, Déborah
François, Thomas Doret, Cécile de France… ont tous brillé devant
l’objectif des frangins. Et aujourd’hui, la Française césarisée,
oscarisée et malheureusement oubliée pour le prix d’interprétation
féminine à Cannes. La «Môme» a bien grandi depuis ses débuts
dans «Taxi». Et ici, elle irradie l’écran pendant 1h35.
Sans
fard, sans glam, sans filet, sans chichis, l’actrice est à
découvert et elle est bouleversante. Juste, crédible, émouvante,
la compagne de Guillaume Canet nous chavire. Qu’on se le dise
encore une fois, ce magnifique portrait de femme - son plus beau rôle
depuis «De rouilles et d’os» - est transcendé par une paire de
cinéastes talentueux. Un peu éclipsé par l’aura dégagée par la
performance de Marion Cotillard, Fabrizio Rongione est tout aussi
incroyable dans le rôle du mari qui ne lâche rien. En retrait, le
Belge joue avec beaucoup de subtilité, de sincérité et
d’intelligence la retenue. Un formidable personnage pour un
excellent comédien.
Notre
palme d'or. Incontestablement.
4.
12 Years A Slave
On
avait donc vu juste avec notre pronostic. Visionné bien avant son
triomphe lors de la 86e cérémonie des Oscars, il ne faisait déjà
plus aucun doute à l'époque quant au futur sacre de «Twelve Years
A Slave». Face à lui, seul «The Wolf of Wall Street» pouvait
faire le poids. Mais son histoire irrévérencieuse, son traitement
licencieux et la mise en scène sans concession de Martin Scorsese
ont choqué les membres les plus puritains de l’Académie - et ils
sont nombreux. Du coup, Steve McQueen pouvait dormir sur ses deux
oreilles, son magnifique métrage ne pouvait que remporter la
prestigieuse statuette dans la catégorie reine, soit celle du
«Meilleur film» de l’année 2013.
Il
n’y a strictement rien d’injuste là-dedans tant le réalisateur
a su combiner sa force de frappe de ses précédents films dits
«d’auteur» avec une forme classique de long-métrage à visé
mercantile et ipso facto accessible à toutes les pupilles. Le
metteur en scène le savait, pour sortir une œuvre universelle,
celui-ci devait absolument adoucir son style visuel plutôt rigide.
S’il met de côté ses obsessions esthétiques, le cinéaste ne
renie pas pour autant la singularité de son cinéma et offre
quelques effets qui feront sens aux yeux des cinéphiles mais qui
mettront une partie du public sur la touche.
Après
«Hunger» et «Shame», McQueen corrobore l’idée qu’il est le
cinéaste de la souffrance humaine, de la douleur physique. Une
expérience doloriste partagée par le spectateur, les yeux humectés,
la gorge nouée, le dos parsemé de frissons. Sans jamais quitter son
personnage, l’ex-artiste plasticien rend parfaitement bien la
déréliction du héros, poursuivant son chemin de croix qui aura
duré, comme le titre du film l’indique, douze ans. Avec un
réalisme criant, celui-ci montre l’ignominie de l’esclavage et
dénonce une Amérique plongée dans la turpitude. Par ailleurs, il
est le premier artiste noir à traiter cette infamie sur pellicule.
A
travers l’histoire vraie de Salomon Northup, Steve McQueen,
refusant toute sensiblerie, réalise une autopsie au scalpel de la
pratique de l’esclavage dans les Etats-Unis au dix-neuvième siècle
et transmet toute l’horreur de la condition noire. Ce dernier signe
tout autant un brûlot fort et maîtrisé qu’un indispensable
travail de mémoire. Enfin, impossible de ne pas faire écho à la
qualité de l’interprétation des protagonistes: Chiwetel Ejiofor,
Lupita Nyong’o, lauréate de l'Oscar de la meilleure actrice dans
un second rôle, et Michael Fassbender offrent des compositions
incroyables. Fort, très fort.
5.
Nightcrawler
Avec
«Nightcrawler», Dan Gilroy dresse un portrait acide de la presse de
caniveau en recherche constante d’info-poubelle à balancer à son
audimat, soit des téléspectateurs passifs et complices. Tout y
passe: mise en scène de l’information, audience avide de
sensationnalisme, pouvoir de l’image, manipulation des consciences,
voyeurisme trash de la presse, déshumanisation des nouvelles, dérive
des médias dits «citoyens», bafouage de la déontologie
journalistique, course aux scoops les plus crapuleux, incompétence
des présentateurs etc. Le tout emballé avec des dialogues au
cynisme savoureux.
Le
réalisateur n’en rate pas une et pose les bonnes questions avec
cette satire efficace des mass-medias qui devrait, espérons-le,
intriguer la génération 2.0., submergée par la malinformation et
mal armée face aux flux de «contenus» - ce qui fait parfois de ces
jeunes des «cons tenus» par les réseaux sociaux dont ils ne
peuvent s’extraire. A quand un cours obligatoire d’Education aux
médias dans les écoles?
Impossible
de ne pas évoquer la distribution avec notamment un brillantissime
Jake Gyllenhaal au regard halluciné qui, depuis la déconvenue
«Prince of Persia», enchaîne les performances avec des rôles
salutaires. Rappelez-vous «Prisoners» sorti il y a un an.
L’Américain est à son meilleur dans «Nightcrawler» et rappelle
les De Niro et Pacino de la grande époque, lorsqu’ils ne
cabotinaient pas. Vous dire! Sans oublier le formidable come-back de
René Russo en directrice d’info sans scrupules et sans
une once d’éthique.
Pour
une première œuvre, Dan Gilroy tutoie les cimes de la réussite. Le
metteur en scène livre une charge sur l’info spectacle sise à
mi-chemin entre l’entertainment pur et le film de contenus avec un
véritable regard d’auteur. On pense autant à «Collateral» ou
«Drive» pour les virées nocturnes qu’à David Fincher pour
l’intensité du thriller haletant. L’histoire est bonne, la
radioscopie des médias et l’analyse des mœurs audiovisuelles sont
pertinentes, l’acteur principal est oscarisable, la bande originale
électrisante, la mise en scène brillante…, bref, on tient ici
l’un des meilleurs films de l’année!
6.
Philomena
Oubliez
les innombrables produits doucereux que nous sert Hollywood à tout
bout de champs, le cinéma anglais, lui, réhabilite le mélodrame
avec brio, celui qui va droit au cœur sans s’encombrer d’artifices
tire-larmes préfabriqués avec une armada de violons.
Plus
en forme que jamais, Stephen Frears, à qui l’on doit les
immanquables ‘Tamara Drewe’ et ‘The Queen’, dresse le
portrait de Philomena Lee, une vieille dame au crépuscule de sa vie,
qui recherche le fils qu’elle a dû abandonner à la naissance.
Tombée enceinte à l’adolescence, cette Irlandaise de statut
modeste a été recueillie dans un couvent pour éviter l'anathème.
Ce long séjour chez les nonnes devait laver l’opprobre dont elle
s’était couverte aux yeux de sa famille. Cinquante ans plus tard,
aidé d’un journaliste de la BBC en perte de vitesse, cette
catholique remue ciel et terre pour connaître la vie de son fils
caché.
Comme
susmentionné, ce film inspiré d’une histoire vraie empoigne sans
verser dans les trémolos faciles, émeut tout en suscitant la
réflexion. Sans cynisme et sans ironie mal placée, ce réquisitoire
contre l’église irlandaise nous rappelle l’indispensable «The
Magdalene Sisters» de Peter Mullan sur le même sujet. Si
«Philomena» sonne juste, c’est surtout grâce à sa distribution.
Deux personnages que tout oppose composée par ce qui se fait de
mieux dans la crème anglaise. Judi Dench est extraordinaire en mère
courage simple mais humble et volontaire au même titre que Steve
Coogan, parfait en journaleux snob mais appliqué. Acteur de talent –
souvenez-vous de «The Trip» -, ce dernier se révèle également
bon scénariste. Son récit fut d'ailleurs primé à la dernière
Mostra de Venise.
La
force de ce script est qu’il dépasse le substrat scénaristique du
simple suspense «Va-t-elle retrouver son fils?» pour aborder de
front différents thèmes: la religion face à l’athéisme, la foi
au quotidien, le pardon et l’inexcusable, le choc des classes
sociales, la critique du journalisme avec les «human interest
stories» etc. ‘Philomena’ est riche, subtile, profond, drôle et
émouvant. Face à tant de qualités, la mollesse de la mise en scène
et les quelques flash-backs superfétatoires sont autant de
peccadilles qui ne devraient pas vous faire hésiter à vous rendre
sans détour chez votre exploitant de salles préféré.
7.
Minuscule, La Vallée des Fourmis Perdues
Nonobstant
la modestie du titre, c’est bien à une œuvre majuscule que vous
êtes conviés. Sis à mi-chemin entre ‘Microcosmos: le Peuple de
l'Herbe’ et la trilogie du ‘Seigneur des Anneaux’, ce film
d’animation est une véritable petite pépite burlesque à
consommer sans modération.
Après
‘The Artist’, c’est au tour des Français Thomas Szabo et
Hélène Giraud de remettre au goût du jour le cinéma muet avec la
gageure suivante pour mot d’ordre: plaire tant aux petits qu’aux
grands enfants. Résultat: mission accomplie. Et pourtant, ce n’était
pas gagné. Là où la plupart des studios d’animation mise sur un
anthropomorphisme accentué pour susciter l’adhésion des jeunes
pupilles, ici, le duo de réalisateurs ne s’est pas senti obligé
de créer des animaux «humanisés».
Si
l’absence de dialogues peut faire peur voire rebuter le
tout-regardant, cette omission est compensée par de très jolies
trouvailles de mise en scène ainsi qu’un extraordinaire travail
sur le son. En sus, avec leur maestria toute cinéphile, le tandem
fourmille d'idées pour booster leur long métrage. Celui-ci joue à
fond la carte d’un humour ravageur volontiers orienté vers le
burlesque et le comique de situation avec çà et là des clins d’œil
savoureux aux œuvres cultes du septième art. Certains gags sont
tout bonnement désopilants.
Techniquement,
le résultat est bluffant et même rafraîchissant compte tenu de ce
qui se fait dans le paysage du cinéma d’animation actuel. En
substance chez la concurrence: DreamWorks et ses produits formatés,
Pixar qui rime de plus en plus avec dollar et de moins en moins avec
caviar ou septième art, Disney et ses morales à deux balles,
l'esthétique criarde d'Illumination, les réchauffés de Blue Sky
etc.
Avec
'Minuscule", nos deux Frenchies sortent des sentiers battus et
font preuve d’une incroyable inventivité formelle. Concrètement,
les personnages animés sont incrustés dans des décors réels
filmés en format CinemaScope dans les parcs nationaux des Écrins et
du Mercantour. Les images de synthèse et les prises de vues réelles
se mêlent de façon homogène et font de ce film hybride un
ravissement de tout instant. On reste muet d'admiration!
Tantôt
poétique, tantôt épique, cette ‘Vallée des Fourmis Perdues’
se révèle in fine un divertissement récréatif qui vaut sacrément
le coup d’œil.
8.
The Grand Budapest Hotel
Il
possède sans conteste l’un des univers les plus singuliers du
cinéma américain contemporain. Il est encore loin du parachèvement
de sa filmographie et pourtant il tutoie déjà des sommets
artistiques. «Il», c’est Wes Anderson, l’ineffable génie au
style visuel affirmé et à l’imagination sans limite. Comme à
l'accoutumée, le dandy texan fait montre d'une incroyable
créativité. Aujourd'hui, il convie le spectateur à s’immerger
dans une histoire picaresque à l’aube d’un terrifiant conflit
européen. Notre gandin nous sert à nouveau une galerie de
personnages atypiques. La trame est connue: d'aucuns se cherchent,
certains se toisent et tout le monde se trouve dans des tribulations
truculentes.
L'exquis
Monsieur Gustave, le concierge endimanché du Grand Budapest Hotel,
palace sis dans la contrée imaginaire de Zubrowka, engage le jeune
et dévoué Zero Moustafa en tant que groom ou «Lobby Boy», avec
qui il va vivre toutes sortes d’aventures rocambolesques. Sous les
atours d’une facétie ébouriffante d’espièglerie se situe en
réalité une fable humaniste sur les derniers miroitements d’un
Vieux Continent condamné à sombrer dans le fascisme de
l'entre-deux-guerre.
Cette
odyssée endiablée à laquelle vient se joindre subrepticement de
savoureuses séquences d’absurdité est sans aucun doute l’histoire
la plus distrayante et accessible du cinéaste. La sève de la mise
en scène, d’une inventivité constante, associée à la vélocité
des rebondissements ainsi qu'à la concaténation des plans découpés
au millimètre font de ce carrousel d’images burlesques un grand
spectacle vintage. En sus, le soin apporté à chaque détail de
décor et de costume transporte le spectateur dans un état de
ravissement. Si la mécanique un peu trop huilée d'Andeson tend
parfois à empêcher les émotions d’émerger, l’humour, lui, se
déploie pour le plus grand plaisir de nos zygomatiques.
Il
est étrange de remarquer à quel point le film se regarde aussi
facilement qu’on lit une bande dessinée truffée de gags
irrésistibles et d'ostrogoths extravagants. Il faut d’ailleurs
noter la présence d’une distribution en état de grâce où
l'irrésistible Ralph Fiennes fait des merveilles. Sa verve, sa
prestance, son regard sont autant d'éléments à épingler. L’acteur
britannique porte le film sur ses épaules. Enfin, prêtez une
oreille attentive à l'agréable partition musicale du brillant
Alexandre Desplat.
9.
X-Men: Days of Future Past
Habile
producteur et scénariste astucieux, il n’a pas fallu longtemps à
Bryan Singer pour imaginer une réunion du style «best of the best»,
soit l’esprit des deux premiers opus avec l’efficacité du
prequel tout en n’oubliant pas de convier quasiment tous les
acteurs de la saga. Tâche ardue s’il en est car il s’agit de ne
pas froisser la chronologie. Mission totalement réussie. Cohérent,
le metteur en scène se permet même de fournir un récit palpitant,
lequel tient en haleine jusqu’au bout, et conclut son film en
ouvrant un champ de possibles.
Misant
sur un équilibre parfait entre action et humour, il offre également
l’épisode le plus sombre de la saga. La noirceur du futur et la
mélancolie du passé cohabitant au sein du même métrage. Le
cinéaste orchestre intelligemment ces voyages dans le temps. Fluide
et sans accrocs, l’histoire se suit comme on s’enfile un paquet
de pop-corn. On prend aussi un malin plaisir à retrouver certains
acteurs comme Ian McKellen ou Patrick Stewart.
Paré
d’effets spéciaux ahurissants, ce «Days of Futur Past» est un
divertissement de grande envergure aussi ambitieux que subtile.
Singer réussissant même à offrir une séquence d’anthologie - du
même genre que celle de Diablo s’introduisant dans le bureau ovale
dans X-Men 2 - qui restera longtemps dans les mémoires: il réinvente
l’effet «bullet time» popularisé par les frères Wachowski dans
«The Matrix» avec le mutant Quicksilver. En un mot: énorme! Cette
scène vaut à elle seule le détour dans les salles obscures!
10.
Dawn of The Planet of The Apes
Après
l’effroyable échec artistique que fut «Cloverfield», Matt Reeves
semble être parvenu à remonter la pente. Ainsi, après la sortie du
quasi chef-d’œuvre «Let Me In», l’un des meilleurs films de
vampires de tous les temps, celui-ci offre un deuxième épisode dans
la droite lignée du prequel. Interprétation sans faille, scénario
malin avec une profondeur émotive et psychologique et dans lequel la
structure basique gentil-méchant est intelligemment renversée, mise
en scène inventive, SFX bluffants, direction photo impressionnante,
composition musicale inspirée, Reeves s’est bien entouré et
apparaît in fine comme un digne successeur de Rupert Wyatt,
réalisateur de l'antépisode, lequel, estimant le délai de
pré-production trop court, a préféré se tourner vers d’autres
projets.
Là
où certains blockbusters estivaux, en mode décérébré, se la
jouent feu d’artifice avec un lourd déploiement dans la surenchère
visuelle et où les effets pyrotechniques y demeurent à profusion
(la pétarade Transformers 4...), le cinéma de Matt Reeves se voit
comme une bénédiction pour tous ceux qui apprécient les
divertissements «grand spectacle» intelligents. Le metteur en scène
parvenant même à ajouter de la poésie dans ses images notamment
avec ce superbe plan giratoire sur le tank durant l’assaut des
anthropoïdes. Enfin, le cinéaste se montre diablement efficace dans
la montée en puissance de la tension belliqueuse entre simiens et
humains ainsi que dans l'instauration d'une ambiance lourde et
pesante.
Si
d’ordinaire les suites déçoivent, ici, ce n’est pas le cas.
Évidemment, on pourrait reprocher une intrigue un brin faiblarde et
une carence en rebondissements mais ce serait ergoter sur quelques
peccadilles qui n’entravent en rien le plaisir d’assister à un
divertissement de haut vol.
Professeur
Grant
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