Chocolat


Du cirque au théâtre, de l'anonymat à la gloire, l'incroyable destin du clown Chocolat, premier artiste noir de la scène française. Le duo inédit qu'il forme avec Footit, va rencontrer un immense succès populaire dans le Paris de la Belle époque avant que la célébrité, l'argent facile, le jeu et les discriminations n'usent leur amitié et la carrière de Chocolat. Le film retrace l'histoire de cet artiste hors du commun. 





 
Après le biopic plutôt conceptuel «Steve Jobs», place à une autre biographie filmée, cette fois-ci d’ordre plus classique, avec «Chocolat». Pour son quatrième long métrage, Roschdy Zem (auteur des recommandables «Omar m’a tuer» et «Mauvaise Foi») conte l’histoire de Rafael Padilla, le premier artiste noir de la scène hexagonale. Né esclave à Cuba, ce dernier traversera l’océan pour devenir le «bon nègre» de service d’un cirque itinérant des plus miteux. Il y jouera la bête de foire ou encore le cannibale effrayant sous les regards médusés d’un public encore en proie au racisme le plus primaire. Jusqu’au jour où le talentueux clown Foottit, en manque d’inspiration et boudé par la scène, lui propose de former un tandem encore inédit dans l’univers circassien: le clown blanc accompagné de l’auguste noir souffre-douleur. Le succès est immédiat. A tel point que la Ville Lumière les appelle et que le tout-Paris se donne rendez-vous au Nouveau Cirque pour voir leurs numéros de duettistes désopilants.

Avec ses enjeux multiples, ce «Chocolat» est intéressant à plus d’un titre. Roschdy Zem questionne la condition d’artiste, explore l’alchimie fébrile de la paire clownesque et approfondit le thème de la discrimination raciale et du racisme ordinaire dans la France républicaine de la fin du XIXe siècle. Son film rappelle à bien des égards le tout aussi important et nécessaire «Venus Noire» d’Abdellatif Kechiche. Il en découle une vertu quasiment pédagogique: celle de nous (r)enseigner (sur) ce destin hors-norme et interpellant à l’heure où les consciences sont davantage préoccupées par l’avenir que par les leçons à tirer du passé. Le réalisateur nous renvoie directement à notre propre condition de spectateur en laissant planer le malaise face aux rires du public, s’amusant de ressorts comiques simplistes, entendez des coups de pied donnés à répétition par Foottit à Chocolat. L’humiliation subie par Padilla suscite les ricanements de l’audience et rend compte des relations entre Noirs et Blancs à l’époque.

Par ailleurs, Zem a le bon goût de délaisser la tentante portée hagiographique de la destinée de Rafael Padilla pour finalement dresser un portrait nuancé et ambigu en abordant de face les vices d’un protagoniste contrasté (homme à femmes, flambeur, alcoolique…). Pour incarner ce rôle en or, le metteur en scène fait appel à Omar Sy. Impérial de bout en bout, l’acteur confirme après «Intouchables» et «Samba» que sa palette de jeux est bien plus étoffée que ce que laisse entrevoir ses comédies faciles et autres productions hollywoodiennes (Jurassic World, X-Men). Aussi à l’aise dans l’émotion (la mise en abyme d’Othello) que dans les facéties (son corps dégingandé et désarticulé fait des prouesses), Omar est à son meilleur. Tout comme James Thierrée, enfant de la balle car il n’est autre que le petit-fils de l’illustre Charlie Chaplin. Totalement investi, ce dernier incarne le pendant torturé et mélancolique de cette paire comique. Artiste de cirque de premier ordre, le Suisse a conçu de main de maître les numéros très réussis qui parsèment le métrage.

Là où le bât blesse, c’est au sujet de la mise en scène. Beaucoup trop sage et illustrative, la réalisation  ne parvient pas à transcender le récit, à nous donner le grand frisson, à se jouer des tours imaginés par James Thierrée et à nous rendre compte du spectacle qu’offrait chaque soir le Nouveau Cirque. Peu inspiré voire plat, le traitement visuel manque d’audace, de panache et s’appuie beaucoup trop sur la superbe reconstitution (décors, costumes, effets spéciaux…) du Paris de la Belle Epoque. Peu inspiré sur la forme, Roschdy Zem éprouve quelques difficultés à nous emporter dans l’effervescence de l’univers circassien alors qu’il avait là assez de matière pour rendre son biopic dynamique et exaltant. Ce dernier se contente d’une illustration convenue et sans surprise et bute sur quelques maladresses impardonnables comme cet épilogue où la caméra s’en va chercher les étoiles dans un ciel immaculé. En 2016, réaliser un plan final aussi éculé que celui-là, c’est faire preuve d’un sérieux manque d’imagination. 

Note: 
Critique: Professeur Grant

Ps: ne manquez pas le générique de fin: on a droit à un précieux document filmé sur le véritable duo Foottit/Chocolat réalisé jadis par les frères Lumière (interprétés dans ce biopic par les frangins Podalydès - très bon choix de casting au passage!) 

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