Anomalisa
Michael
Stone, mari, père et auteur respecté de "Comment puis-je vous
aider à les aider ?" est un homme sclérosé par la banalité
de sa vie. Lors d'un voyage d'affaires à Cincinnati, où il doit
intervenir dans un congrès de professionnels des services clients,
il séjourne à l'Hôtel Fregoli. Là-bas, il entrevoit la
possibilité d'échapper à son désespoir quand il rencontre Lisa,
mal dans sa peau et représentante des ventes des pâtisseries Akro.
'Anomalisa', ou le premier film d'animation s'étant vu attribuer la mention « rated-R » aux États-Unis. Tabagisme, injures et une scène de sexe. 'Anomalisa' n'est donc pas à mettre devant toutes les mirettes. Une classification qui est plutôt rare au vu du format choisi.
En
plus du choix visuel osé, le film se distingue également sur le
plan sonore. Un seul homme (Tom Noonan) prête sa voix à TOUS les
personnages (à l’exception des deux personnages principaux). En
d'autres mots, les femmes (hormis Lisa) arborent une voix d'homme.
Exercice de style ? Oui, mais pas seulement.
Mis
sur pied par le tandem Charlie Kaufman (scénario)/
Duke Johnson (réalisation),
'Anomalisa' est un film d'animation complètement timbré.
Au
niveau casting, Jennifer Jason Leigh - vue récemment en prisonnière
chez Tarantino ('The Hateful Eight') mais aussi dans 'The Machinist'
et 'eXistenZ' - donne la réplique à David Thewlis. Qui ? Sa
voix est reconnaissable entre mille : le professeur Remus Lupin
dans les aventures du plus célèbre des sorciers.
Visuellement
parlant, 'Anomalisa', même s'il n'innove pas, reste une gageure
technique. Le procédé utilisé n'est pas l'animation 3D mais
l'animation en volume ou « stop motion » (dans le jargon
des professionnels).
Procédé
pas nouveau puisque utilisé partiellement dans 'The Lost World'
(1925) ; il faudra néanmoins attendre 'Rudolph, the Red-Nosed
Reindeer' (1964) ou encore 'Closed Mondays' (1974) pour que cette
technique soit enfin récompensée. Depuis, le monde de la stop
motion a accueilli 'Coraline', 'Fantastic Mr Fox', 'Panique au
village', 'Chicken Run' et bien entendu le classique 'The Nightmare
Before Christmas' d'Henry Selick.
Dans
'Anomalisa' il y a « A Mona Lisa ». En anglais, 'Mona
Lisa' est parfois utilisé comme adjectif pour décrire un certain
sourire et/ ou expression sur le visage d'une femme. Cette
expression, Lisa nous l'offre sur un plateau d'argent, et ce, dès sa
première rencontre avec Michael. La rencontre de cet homme -
personnage à la limite de la misanthropie et motivateur désabusé -
et la souriante Lisa (à la voix singulière) fera des étincelles.
Rencontre
qui se passe dans un hôtel finement appelé « Hôtel
Fregoli ». Finement, car Leopoldo Fregoli était un acteur et
transformiste qui donna son nom à un trouble psychiatrique. Ce
syndrome, de nature paranoïaque, s'apparente à une forme de délire
pour le malade qui est persuadé qu'un énorme complot se trame et
qu'il se retrouve persécuté par une autre personne aux multiples
visages. « Clever move » puisque cela permet aux
réalisateurs de ne s’encombrer que de trois faciès principaux :
Michael, Lisa et tous les autres. Pour Michael, tout le monde se
ressemble/ sonne pareil. Même ressenti chez le spectateur puisque le
point de vue narratif est celui du quinquagénaire.
Le
désespoir, le manque de confiance en soi, le besoin de compagnie et
l'aspect éphémère du bonheur apparaissent en filigrane. La
fragilité occupe également une place importante. Fragilité que
seules des marionnettes pouvaient retranscrire ? Avec ses
questions existentielles et son désespoir intrinsèque, le
film de Kaufman&
Johnson
lorgne le cinéma de Woody Allen, Todd Solondz et Spike Jonze (avec
une scène qui n'est pas sans rappeler le cultissime 'Being John
Malkovich').
Duke Johnson et Charlie Kaufman |
La
technique est ici impeccablement maîtrisée.
Le film nous livre d'admirables passages
avec notamment une reprise de « Girls
Just Want To Have Fun » de Cyndi Lauper.
En
dépit de tous ces points positifs, la fin du film semble un peu
abrupte. Certes, il y a sûrement une volonté là-derrière, mais à
l'heure des « happy endings », Monsieur-tout-le-monde
peut être désarçonné. La longueur du produit fini est peut-être
à pointer du doigt : initialement d'une longueur de 40 minutes,
le projet totalise les 90 minutes.
Pour
l’anecdote, le générique de fin compte 1070 mercis. Autant de
mercis que de contributeurs Kickstarter… plate-forme sans laquelle
le projet n'aurait très certainement jamais vu le jour.
En
creusant un peu, 'Anomalisa' est une réflexion sur la question de
l'individualité
dans le monde moderne. Ce questionnement est souligné par
le choix des visages (et des
voix) des
différentes marionnettes. À trop vouloir ressembler aux autres,
on en viendrait
à oublier qui on est ? Admirable dans la forme, le film l'est un peu moins dans le fond. L'alanguissement,
la
noirceur du personnage principal ainsi que sa motivation
- qui reste plus que douteuse après vision, – viennent
quelque peu gâcher
notre plaisir.
Note : ★★
Critique :
Goupil
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