Christopher Robin
Le temps a passé. Jean-Christophe, le petit garçon qui adorait arpenter la Forêt des Rêves bleus en compagnie de ses adorables et intrépides animaux en peluche, est désormais adulte. Mais avec l'âge, il est devenu sérieux et a perdu toute son imagination. Pour lui rappeler l’enfant attachant et enjoué qu'il n’a jamais cessé d’être, ses célèbres amis vont prendre tous les risques, y compris celui de s'aventurer dans notre monde bien réel…
I. Christopher
Robin
La marque « Winnie the Pooh », véritable poule aux œufs d’or, se porte comme un charme. Merci
pour elle. L’univers de ce personnage toujours avide de s’offrir un petit shoot
de miel en intraveineuse fonctionne tellement bien dans le merchandising Disney
que, régulièrement, le studio aux grandes oreilles nous livre une de ses
déclinaisons télévisuelles ou cinématographiques. Des pubs de luxe en somme.
Donc, ne nous méprenons pas devant l’affiche de ce « Christopher
Robin », l’ambition ici est bien plus mercantile que purement artistique. Petit
coup d’œil dans le rétroviseur pour s’en assurer. L’aventure sur grand écran du
plus mignon des ours en peluche a commencé dans un long-métrage datant de la
fin des seventies. Après une suite
sous-titrée « Le Grand Voyage » sortie en DTV (lire direct-to-video),
s’en sont suivies plusieurs variations réalisées comme des standalone movies. Ainsi, tout le petit monde de la Forêt des Rêves
bleus y est passé : « Les aventures de Tigrou » en 2000,
« Les aventures de Porcinet » trois ans plus tard, « Les
aventures de Petit Gourou » l’année suivante. Vous remarquerez les efforts
fournis par l’équipe marketing pour ne pas se répéter dans le titre… Bon, d’un
autre côté, Claude Lelouch avait déjà bien abusé avec son « L’aventure,
c’est l’aventure », en 1972.
En 2005, dans un grand
moment de lucidité (d’avidité ?), l’intrépide Mickey décide ni une ni deux
qu’il faut absolument revenir aux fondamentaux et balance à la hussarde
« Winnie l’ourson et l’Efélant » avant que les cerveaux du service
marketing nous fassent un aveu de faiblesse et d’incompétence en sortant le
pourtant pas trop mal « Winnie l’ourson » en 2011. « Winnie
l’ourson », oui. Comme ça. Tout simplement. C’est à prendre ou à laisser. On
ne s’efforce même plus d’ajouter « Les aventures de » (c’est dommage,
c’était tellement original et novateur…) ou de tenter de dévoiler l’un des
enjeux (si tout du moins il y en a un) du scénario. Simple. Radical. Le
minimalisme poussé à son paroxysme. Après tout, pourquoi en faire des caisses alors
que « Winnie the Pooh » est devenue une licence mondialement connue
qui fait pleuvoir les dollars partout où elle est diffusée. Il a même son
étoile sur Hollywood Boulevard, le bougre !
Mais Bob Iger, le Picsou
de Burbank, celui qui tient les rênes de l’empire, contre-attaque. Admirez la
transition : comme pour la saga « Star Wars », ce dernier a bien
dû se dire qu’ils avaient suffisamment exploité le filon, qu’il était temps de
revenir avec du neuf (faut pas s’emballer non plus…) pour ne pas lasser le
public. Dans cette honorable perspective, nos champions de scénaristes n’ont
pas cherché midi à quatorze heures. Ni même deux secondes, en fait. Si ce n’est
plus Winnie, ce sera Christopher Robin ! Et on pique l’idée de « Paddington »
tiens, au passage. Ni vu, ni connu ! Au revoir l’animation, bonjour le live action (film en prises de vues
réelles). Comme vous pouvez le remarquer, chez Disney, on cultive l’audace
comme personne…
Les marketeurs français, encore plus frileux que leurs confrères américains, ont carrément titré « Jean-Christophe et Winnie ». Histoire d’être certain que le spectateur intègre que le plus gros emmerdeur des abeilles se retrouve bien à l’écran. Et le plus beau dans tout cela, c’est que certaines affiches promotionnelles ne présentent pas le fameux J-C devenu adulte (Ewan McGregor, tout de même). Preuve que ce film est bien une manière détournée pour nous vendre du Winnie. Après, il fallait s’en douter. Dans le miel, il y a du sucre. Et si tu remplaces une lettre, tout en veillant bien à garder la rime, ça fait lucre. Même chose en anglais : honey = money. CQFD.
Les marketeurs français, encore plus frileux que leurs confrères américains, ont carrément titré « Jean-Christophe et Winnie ». Histoire d’être certain que le spectateur intègre que le plus gros emmerdeur des abeilles se retrouve bien à l’écran. Et le plus beau dans tout cela, c’est que certaines affiches promotionnelles ne présentent pas le fameux J-C devenu adulte (Ewan McGregor, tout de même). Preuve que ce film est bien une manière détournée pour nous vendre du Winnie. Après, il fallait s’en douter. Dans le miel, il y a du sucre. Et si tu remplaces une lettre, tout en veillant bien à garder la rime, ça fait lucre. Même chose en anglais : honey = money. CQFD.
II. Goodbye
Christopher Robin
En substance, chez
Disney, le miel a le goût du lucre, plus que du sucre. Certes. Mais dans tout
ce fatras commercial, un homme et un studio ont voulu innover et tenter
d’explorer l’homme qui se cache derrière l’éternelle coqueluche des enfants
depuis des générations. Ainsi, très tôt, la Twentieth Century Fox a mis en
chantier « Goodbye Christopher Robin », avec le tandem formé par Domhnall
Gleeson et Margot Robbie en tête d’affiche. Le pitch ? Percer le mystère
des origines de ce honey addict en
racontant l’histoire de l’auteur britannique Alexander Alan Milne, revenu de la
Grande Guerre, et de son fils, le fameux Christopher Robin du titre. Tous deux
tentent de reconstruire leur vie et semblent avoir trouvé, à travers un ourson
en peluche, une surprenante échappatoire à leur affliction. Sans doute une
superbe histoire sur la relation père-fils.
Sans doute car vous ne la
verrez pas sur grand écran en Belgique, le long-métrage étant déjà disponible
en Blu-ray outre-Quiévrain et peut-être même dans notre royaume. Une
situation qui semble d’autant plus incompréhensible au regard du casting de
choix (deux stars montantes de l’industrie californienne) et du cinéaste qui se
cache derrière la caméra, le talentueux Simon Curtis, à qui l’on doit les très
bons « My Week with Marilyn » et « Woman in Gold ». Autrement
dit, un habitué des biopics de bonne facture. Un choix d’autant plus
regrettable que la bande-annonce nous promettait une œuvre proche de « Finding
Neverland », formidable adaptation sur la genèse de Peter Pan,
chef-d’œuvre littéraire écrit jadis par James M. Barrie, incarné par un brillant
Johnny Depp, lui-même accompagné par une inoubliable Kate Winslet. Pour
l’anecdote, ce film de 2004 était alors mis en scène par un certain Marc
Foster… qui n’est autre que le réalisateur de ce « Christopher
Robin » version Disney !
Si les décisions des
distributeurs sont parfois nébuleuses, on se doute bien que la branche indie movie de la Fox (Searchlight) a eu
peur de se faire manger tout cru par l’ogre Disney, et ce, même si plusieurs
mois séparaient les deux productions. C’est que si la nature même des longs-métrages
était différente, le poids financier (budget, promotion…) également. L’un
surfant sur la vague du film indépendant de mi-saison espérant secrètement un
bouche-à-oreille favorable, l’autre sur celle du blockbuster estival gonflé au
matraquage médiatique. Voilà pourquoi vous devrez attendre que « Goodbye
Christopher Robin » passe sur la petite lucarne.
III. « Don’t underestimate the
value of doing nothing »
Mais que vaut cette
nouvelle incursion dans l’univers de Winnie et ses potos ? Balayons
d’emblée d’un revers de la main toutes éventuelles critiques sur la
sensiblerie, les niaiseries, la tendresse etc du métrage. Nous sommes dans un
univers connu de tous, avec des codes bien établis, des valeurs, des traditions
et des personnages intouchables. La gageure de la production fut donc de
préserver ce monde, le rendre crédible et réaliste tout en préservant l’imagination
et la fantaisie. Le tout naturellement bercé par une douce mélancolie. Des éléments
qui font de cette licence un environnement onirique où les plus petits et ceux
qui ont un jour été touchés par cette magie (voire plus largement toute
personne qui a gardé une âme d’enfant), peuvent se réfugier et se sentir bien,
en sécurité. Et en cela, « Christopher Robin » est une jolie surprise.
Sur le fond, le message
est pertinent. Les aiguilles ont tourné. Jean-Christophe, le garçonnet qui
adorait arpenter la Forêt des Rêves bleus en compagnie de ses intrépides
animaux en peluche, est désormais un adulte accompli, avec des responsabilités
tant sur le plan familial que professionnel. Mais avec l'âge, ce dernier est
devenu sérieux et a perdu toute son imagination. Par un concours de
circonstance, il se confrontera à nouveau à ses amis de toujours, lesquels vont
prendre tous les risques, y compris celui de s’aventurer dans notre monde bien
réel. Si les thèmes (le temps qui passe, les responsabilités parentales, les
rêves d’enfance, le pouvoir de l’imagination et de l’émerveillement, le vague à
l’âme…) ont déjà été exploités à maintes reprises dans des productions
nettement plus subtiles, ceux-ci sont suffisamment bien abordés que pour
mériter notre intérêt.
Un conte aidé par une
mise en scène inspirée, parfois épurée, laissant le soin aux protagonistes
d’interagir, aux émotions d’émerger, au silence de s’installer. On notera aussi
certains partis pris ingénieux comme celui de proposer des personnages à l’allure
de véritables peluches. Des doudous qui ont vécu, légèrement défraîchis, comme
pour montrer que de l’eau a coulé sous le pont de la Forêt des Rêves bleus, métaphore brillamment
utilisée lors d’une très belle séquence où Jean-Christophe voit son reflet
rajeuni dans la rivière. Il se rend compte que le temps s’est écoulé. Comme le
cours d’eau. Le jeune garçon d’hier se confronte alors à l’adulte d’aujourd’hui.
On est tout de suite frappé par les qualités esthétiques de ce film qui nous
rappelle le récent « Pete’s Dragon ». Une plastique magnifique épaulée
par des effets spéciaux splendides. On ne manquera pas d’épingler un casting
vocal irréprochable avec Jim Cummings en tête, doubleur historique (il prête sa
voix à l’ourson depuis les années 80), ainsi qu’une distribution au diapason
(Ewan McGregor, parfait, et Hayley Atwell, trop rare au cinéma).
Si l’intrigue se montre
bien trop convenue et les ressorts du scénario tellement apparents que l’on remarque
tout venir à des kilomètres à la ronde, le long-métrage dégage suffisamment de charme
et de bonne humeur que pour se laisser emporter. Car « Christopher
Robin » est bien une invitation à se (re)poser, à prendre son temps, à se
repositionner face à l’effervescence du monde, à se retrouver, à se débarrasser
de l’accessoire et à revenir aux choses simples, à l’essentiel. C’est aussi une
ode à l’oisiveté, cultivée tel un art, message qui nous a étrangement le plus parlé.
On terminera d’ailleurs par une citation de ce bon vieux Winnie: « Don’t
underestimate the value of doing nothing ».
Note : ★★★
Critique : Professeur Grant
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