Le Chant du Loup
Un jeune homme a le don rare de reconnaître chaque son qu’il entend. A bord d’un sous-marin nucléaire français, tout repose sur lui, l’Oreille d’Or.
Réputé infaillible, il commet pourtant une erreur qui met l’équipage en danger de mort. Il veut retrouver la confiance de ses camarades mais sa quête les entraîne dans une situation encore plus dramatique.
Dans le monde de la dissuasion nucléaire et de la désinformation, ils se retrouvent tous pris au piège d’un engrenage incontrôlable.
I. Embarquement
immédiat
Le Chant du Loup. En
lisant le titre, on s’est demandé si on n’allait pas se farcir une énième
compilation de courts-métrages d’animation scandinave parfaitement calibrée
pour remplir la programmation de trois salles d’art et d’essai perdues dans le
royaume. Mais, la curiosité nous pousse à cesser de jouer les mauvaises langues
et à nous renseigner. Casting intéressant, bande-annonce haletante, synopsis
intriguant, ce projet sorti de nulle part possède quelques arguments qui
captent d’emblée notre attention. Puis, avouons-le, ce n’est pas tous les jours
que le cinéma hexagonal nous offre un film de genre avec les moyens de ses
ambitions. Alors, ne boudons pas notre plaisir et soyons pantelants de joie à
l’idée de découvrir ce qui restera l’une des surprises cinématographiques de
2019.
II. Made
in France
Budgété à 20 millions
d’euros, ce blockbuster portant fièrement son estampille « made in
France » réunit deux producteurs emblématiques du septième art :
Jérôme Seydoux et Alain Attal. Avec ce film de sous-marin, le tandem succède
ainsi à l’autre magnat du secteur, l’ogre Luc Besson, qui a livré avec sa
société EuropaCorp le récent « Kursk », sur l’histoire vraie du
naufrage du submersible russe. Si les deux longs-métrages appartiennent au même
genre, le traitement est diablement différent. Là où l’œuvre de Thomas
Vinterberg s’intéresse davantage au drame humain, « Le Chant du
Loup », lui, investit clairement le champ de l’action et de l’espionnage.
III. Un
miracle !
Et le résultat est soufflant
de vérité. Bluffant ! Ce film est une véritable bénédiction pour le cinéma
bleu-blanc-rouge car il affirme ceci : oui, aujourd’hui, on peut (enfin) réaliser
une superproduction franco-française avec de grosses ambitions esthétiques et
des ficelles scénaristiques efficaces capables de concurrencer les bolides
rutilants venus des contrées hollywoodiennes. On peut même évoquer un miracle
au regard du nombre incalculable de fictions qui ont voulu jouer les Jerry
Bruckheimer… en se cassant les dents, faute de moyens. Ce film apparaît comme
une anomalie dans le paysage cinématographique européen. Et le plus beau dans
cette histoire, c’est qu’on retrouve un novice aux commandes.
IV. D’Abel
Lanzac à Antonin Baudry
Sur sa carte d’identité,
il est écrit Antonin Baudry. Mais les bédéphiles le connaissent sous le
pseudonyme Abel Lanzac, rendu populaire suite à la sortie dans les librairies
de « Quai d’Orsay » qu’il a co-scénarisé avec Christophe Blain. Au
cinéma, celui-ci s’est attaché à retoucher le récit de l’adaptation de Bertrand
Tavernier. Mais l’homme est surtout connu pour son passé de diplomate. Une
expérience riche qui lui a permis de bétonner son récit. Un script singulier
(découvrir le rôle de l’« oreille d’or » - superbe idée de cinéma -,
soit le sous-marinier chargé de détecter les bruits dans les abysses), détaillé
(le jargon militaire, les procédures, le protocole, la diplomatie) et précis (les
dialogues archi-techniques, la question de la dissuasion nucléaire) qui
parvient à vulgariser le fonctionnement de la marine sans tomber dans le
versant Wikipédia.
V. Sur
le bout des doigts
Il ne fait aucun doute,
le quadragénaire connaît son sujet sur le bout des doigts. Rien n’est laissé au
hasard. Ceci pour une question d’authenticité. Et cela se voit (et s’entend) à
l’écran. Le curseur est placé très haut, jusque dans la chorégraphie des
mouvements. En immersion dans un submersible, les acteurs ont ainsi appris à se
mouvoir dans un espace confiné. Avec des enjeux forts, une tension extrême et un
suspense haletant, l’auteur-réalisateur signe un scénario implacable nonobstant
quelques facilités (notamment sur la fin). Il se montre également habile en
parvenant à maintenir la pression durant les deux heures de métrage. Sans temps
mort, le prologue est à ce titre une réussite narrative.
VI. Initials B.B.B.:
black-blanc-beur
Dommage toutefois qu’une
amourette gnangnan s’intègre dans cette histoire. Une sous-intrigue cul-cul totalement
superfétatoire, simple prétexte à ajouter un personnage féminin dans le cast.
Un sacré bémol qui implique malgré tout de gros moments de flottement dans le
récit. Paula Beer, vue dans « Frantz » et plus récemment dans « Werk
ohne Autor », peut faire ce qu’elle veut, son rôle est tellement
anecdotique qu’il n’y a rien à défendre. Heureusement, le reste de la
distribution black-blanc-beur est solide. Lisez plutôt: Omar Sy, François
Civil, Mathieu Kassovitz, Reda Kateb. Malgré le nombre (quatre rôles
principaux !), chaque membre de l’équipage a suffisamment de matière pour
étoffer son protagoniste.
VII. Du
grand spectacle en eaux troubles
On n’oubliera pas non
plus de mentionner la dimension spectaculaire de ce long-métrage qui assume
autant sa part fictionnelle que son ambition réaliste. La production design irréprochable (décors in situ, accessoires,
effets spéciaux) ainsi que l’ingénieux travail sur le son finissent par faire
de ce grand spectacle en eaux troubles une œuvre aussi intelligente que
captivante. Pour l’écrire clairement, « Le Chant du Loup », c’est la
surprise cinématographique de ce mois de février. La pellicule qu’on n’avait
pas vu venir et qui mérite pourtant d’être accueillie sous les projecteurs.
VIII. Une
place à prendre
Ceci pour la simple et
bonne raison qu’il montre qu’il y a bien une place à prendre, en France, pour
ce type de production et que le cinéma hexagonal ne doit pas se limiter à des comédies
franchouillardes et autres drames auteurisants qui inondent les salles obscures.
Parce qu’il faut également saluer l’audace des producteurs qui financent un
film aux moyens colossaux voire pachydermiques. D’où les têtes d’affiches
« bankable » pour faire venir le tout-regardant. Et enfin parce qu’il
y a du talent derrière ce projet. Antonin Baudry, définitivement un nom à
suivre !
Note : ★★★
Critique : Professeur Grant
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