Effacer l'historique
Dans un lotissement en province, trois voisins sont en prise avec les nouvelles technologies et les réseaux sociaux. Il y a Marie, victime de chantage avec une sextape, Bertrand, dont la fille est harcelée au lycée, et Christine, chauffeur VTC dépitée de voir que les notes de ses clients refusent de décoller.Ensemble, ils décident de partir en guerre contre les géants d’internet. Une bataille foutue d'avance, quoique...
Effacer
l’historique
Véritable ovni du cinéma
hexagonal, la paire anar formée par les irrésistibles Benoît Delépine et
Gustave Kervern nous régale de leur point de vue singulier et déjanté sur le
monde à un rythme quasi métronomique depuis près de deux décennies. Après,
entre autres, les mémorables Aaltra, Louise-Michel, Mammuth ou encore Le Grand
Soir, les trublions grolandais reviennent dans les salles obscures avec une
nouvelle satire corrosive en épinglant cette fois-ci notre société ultra-connectée.
Dans « Effacer l’historique », primé au dernier Festival de Berlin
d’un Ours d’argent, ils tirent à boulet de canon sur le fonctionnement des
GAFA, montrent les dérives de la surconsommation et tournent en dérision notre jobarderie
atterrante face aux services numériques proposés par ces multinationales sans
scrupule et totalement déshumanisées.
Pauvres
hères
A l’avant-plan, trois ex-gilets
jaunes en galère financière, voisins dans un petit lotissement périurbain, ont
maille à partir avec les nouvelles technologies de l’information et de la
communication. A gauche, Marie, incarnée par l’inénarrable Blanche Gardin,
victime d’un chantage à la sextape.
Au centre, Bertrand - l’inattendu Denis Podalydès, toujours parfait quel que
soit le registre - éprouve toutes les difficultés du monde à aider sa fille
souffrant de harcèlement sur les réseaux sociaux. Et à droite, Christine, alias
Corinne Masiero, dans un rôle qui lui colle à la peau, se demande désespérément
pourquoi ses services VTC (véhicule de transport avec chauffeur) sont dépréciés
sur la toile. Bien décidés à ne pas se laisser faire et armés de l’énergie du
désespoir, nos pauvres hères de cette « France d’en bas » partent en
guerre contre les géants du web.
Hyperconnectivité
et individualisme
Pas de doute, dès le plan
inaugural, on se dit qu’on est bien chez Kervern et Delépine. Une femme entre
dans le cadre, s’arrête à côté d’un arbre et se dandine sur ce dernier pour se
gratter le dos. L’intro fait mouche et échauffe nos zygomatiques, lesquels
seront mis à rude épreuve durant les cent prochaines minutes. Dialogues aux
petits oignons, scènes débarquées d’Absurdistan, trouvailles visuelles hilarantes,
seconds rôles bien allumés (Benoît Poelvoorde en cyclo-livreur, Bouli Lanners
en hackeur éolien, Vincent Lacoste en maître-chanteur, Michel Houellebecq en
suicidaire…), le film est certes désopilant, mais celui-ci est aussi profondément
mélancolique quand il dépeint ce triste paradoxe : à l’heure de l’hyperconnectivité,
l’individualisme est roi. L’offre en moyens de communication n’a jamais été
aussi pléthorique, accessible, abordable et, pourtant, la solitude gagne du
terrain dans la population.
La
politesse du désespoir
Notre tandem de cinéastes
fait sien cet apophtegme de Boris Vian qui atteste que l’humour est la
politesse du désespoir. Bien que brut de décoffrage en ne soignant pas ses
transitions narratives, donnant la fausse impression d’une succession de
saynètes mal assemblées, le récit a le mérite de ne jamais atténuer son
ambition de brocarder l’aliénation de nos modes de vie contemporains. Faussement
engagée, un chouïa potache (le gag de la semence séminale emprunté aux frères
Farrelly), à la fois sociale et poétique, voire même émouvante, une nouveauté
dans le cinéma des Grolandais, cette tragi-comédie bien sentie réussit sur les
deux tableaux : la farce truculente et l’œuvre douce-amère. Au sortir de la
projection, on se questionne sur notre vie digitale. L’envie de jeter notre
portable à la poubelle nous traverse l’esprit. Et puis, très vite, on googlelise notre position pour connaître
le chemin le plus rapide pour rejoindre notre voiture (!)
Note : ★★★
Critique : Professeur Grant
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