Adieu les cons
I. D’Au
revoir à Adieu…
Trois ans après le triomphe
critique et commercial de sa gargantuesque adaptation multi-césarisée d’Au Revoir
Là-Haut de Pierre Lemaitre, Albert Dupontel signe son grand retour derrière la
caméra avec un projet original et singulier tout droit sorti de son imaginaire
foisonnant et débridé. Adieu Les Cons renoue avec un cinéma pessimiste et
joyeux qu’il affectionne particulièrement, celui plus personnel qui conjugue le
slapstick à l’absurde, additionne le
non-sens et la poésie. L’histoire est celle d’une rencontre improbable entre
une belle coiffeuse « qui veut vivre mais ne peut pas » et un
informaticien en plein burn out « qui peut vivre mais ne veut pas ».
II. Ode
aux éclopés de la vie
D’un côté, il y a Suze
(Virginie Efira, d’une justesse absolue), quadra sérieusement malade mue par
l’envie de retrouver l’enfant né sous X qu’elle a été forcée d’abandonner adolescente.
De l’autre, JB (Dupontel dans le costume d’un personnage qui lui sied à
merveille), quinqua dépressif qui vient de rater son suicide de façon
spectaculaire. Notre tandem croise Monsieur Blin (Nicolas Marié dans un rôle
mémorable) sur sa route, un archiviste aveugle aussi optimiste que bien perché
qui semble avoir un pète au casque. A trois, ils se lancent dans une
quête « à la vie, à la mort » jonchée de péripéties les plus
rocambolesques les unes que les autres.
III. Drôle
de drame
Écrivons-le d’emblée, cela
faisait longtemps qu’une œuvre hexagonale empruntant le sentier périlleux de la
comédie n’avait plus fait glousser une salle obscure à l’unisson. Résultat à
l’audiomètre : des rires nombreux, francs, spontanés, parfois même
incoercibles. Bref, le film fonctionne sur l’audience, elle qui a bien besoin
de décompresser suite à l’annonce des nouvelles mesures gouvernementales pour
enrayer la propagation du coronavirus. Et, de fait, cette satire sociale
corrosive est une pure réussite en parvenant vaille que vaille à maintenir son fragile
équilibre sur le fil de la justesse nonobstant sa dimension bigger than life et son exubérance
formelle.
IV. D’une
inventivité constante
Car, dans cette fable
caustique teintée d’humour noir, tout est étiré, grossi, exacerbé, puissance
dix, exposant mille. Ce n’est pas seulement un drame, c’est une tragédie. Ce
n’est pas uniquement drôle, c’est désopilant. Pour ce faire, le cinéaste fait
feu de tout bois pour mettre en scène sa vision désenchantée d’une société
gangrenée par le cynisme, l’individualisme, la déshumanisation et la solitude.
Sa réalisation, par exemple, est d’une inventivité constante. On ne compte plus
les trouvailles visuelles. Au hasard : le plan vertigineux de l’escalier hélicoïdal
ou encore la séquence finale de l’ascenseur, à la fois cartoonesque et lyrique. Magnétique !
V. Larmes,
histrionisme et désespérance
Notons encore son sens du
dialogue mitraillette qui percute, chamboule, met K.-O. Son brio dans le
montage aussi : pas un bout de gras, juste l’essentiel, et, comme à
l’accoutumée dans son cinéma, le rythme frénétique pieusement préservé. Mais également
son regard pertinent sur le choix des comédiens. On retient les larmes de
détresse de Virginie Efira qui amènent l’émotion, l’histrionisme phénoménal de
Nicolas Marié qui apporte le burlesque, la désespérance nihiliste d’Albert
Dupontel qui déclenche le drame. Tous concourent à rendre cette dramédie aussi passionnante,
bouleversante, hilarante. Autrement dit, son génie est partout.
VI. En
plein cœur !
Dans un cinéma hexagonal
claquemuré dans ses innombrables farces franchouillardes formatées et
convenues, l’artisan Dupontel donne un coup de pied dans la fourmilière, casse
les codes et apporte un vent de fraîcheur avec ses pellicules iconoclastes des
plus jouissives. Biberonné aux maîtres Jacques Tati, Charlie Chaplin, Tex Avery
mais aussi à Jean-Pierre Jeunet et surtout au Monty Python Terry Gilliam,
lequel fait d’ailleurs un caméo, le quinquagénaire mélange les genres, tord le
réel pour mieux commenter l’aliénation du monde kafkaïen qui nous entoure.
C’est intelligent, surprenant, haletant, décapant, tendre, désespéré et,
surtout, ça tape juste. En plein cœur !
Note : ★★★★
Critique : Professeur Grant
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