Bilan 2022 - le "Top 10" du Professeur Grant


 

Death to 2022

Au gui l’an neuf ! Toute l’équipe de Cinephages.com vous souhaite une belle année, une bonne santé, mais surtout de bons films histoire d’échapper à la morosité quotidienne. Exit la crise sanitaire, même si le vilain CoCo est toujours parmi nous, bienvenue à d’autres tensions, troubles, malaises, marasmes, incertitudes, inquiétudes… Les questions diplomatiques, humanitaires, énergétiques, environnementales ou encore économiques revenant sans cesse alimenter la sphère médiatique. De quoi créer un climat anxiogène propice au pessimisme et à la déprime. Autrement dit, il en faudra des divertissements pour nous donner l’illusion que tout va bien en ce bas monde !

Valeur refuge

La salle obscure apparaît alors, tel un phare dans la nuit noire, comme une « valeur refuge ». Le cinéphile échappe à sa triste réalité pour vivre, par procuration, des aventures hors du commun. Petit coup d’œil dans le rétroviseur. En 2022, le spectateur a été bousculé : il a rencontré une version particulièrement sombre du Chevalier noir (The Batman et son univers interlope), il s’est amusé à s’envoyer en l’air en compagnie de Tom Cruise (dans le renversant Top Gun : Maverick), il a fait semblant de croire à l’incroyable (le pénible Jurassic World : Dominion) et, à l’heure actuelle, il ne se remet toujours pas de la claque visuelle et esthétique donnée par Tonton James Cameron (le merveilleux Avatar : The Way of Water toujours imprimé sur sa rétine).

The best of the best

A ce propos, il est temps pour nous de sacrifier à la tradition. Faites place à la rétrospective du Professeur Grant ! Découvrez ci-dessous les œuvres qu’il ne fallait pas louper l’année dernière. Une liste « best of the best » pour vos soirées séances de rattrapage. Showtime !



1. Flugt



Flugt, ou Flee en anglais, est une production scandinave. Flugt est un film d’animation. Flugt est un documentaire. Flugt est une thérapie. Flugt, c’est tout ça à la fois, mais c’est surtout un chef-d’œuvre. La réussite : la forme épouse parfaitement la singularité du fond, soit un récit de vie aussi puissant que poignant. En choisissant les dessins et les images stylisées pour raconter l’histoire vraie de son ami, un Afghan homosexuel qui a dû fuir son pays à la fin des années 80 alors qu’il n’était qu’un enfant, le réalisateur danois Jonas Poher Rasmussen parvient à rendre compte de l’indicible, à mettre en image l’invisible, à raconter l’inimaginable, tout en protégeant l’anonymat de son copain rencontré à l’adolescence. Protéiforme, l’animation se met au service de son sujet : claire lorsque les souvenirs sont palpables, abstraite quand les souvenances s’avèrent plus confuses et douloureuses. Un dispositif cinématographique parfaitement maîtrisé qui, loin d’être froid, renforce au contraire l’empathie et l’immersion, permet des détours d’une infinie poésie et atteint finalement le spectateur en plein cœur. Sur base d’un récit émouvant et brillamment conduit, le Danois signe un portrait sensible et passionnant qui touche à l’universel.


2. Nightmare Alley



Les talents conjugués de conteur et de metteur en scène de Guillermo del Toro se mettent au service d’un métrage-fleuve ample et sinueux aussi riche esthétiquement que dense sur le plan narratif. Qu’on se le dise, le cinéaste n’a pas son pareil pour mettre sur pellicules des images de toute beauté. Alors que, de nos jours, les productions hollywoodiennes succombent, dans une logique de rentabilité, à une hideuse bouillabaisse numérique pour habiller leurs fictions, le Mexicain s’affiche comme l’un des rares réalisateurs à encore chérir le cinéma dit « à l’ancienne ». Soit un septième art qui se conçoit dans sa dimension artisanale. Du grand art. Du travail d’orfèvre. De la belle ouvrage. Du cinéma avec un grand C. Voilà ce que vous offre le styliste del Toro durant 2h30.


3. Avatar : The Way of Water



En sus d’être meilleur que l’original tout en étant une fiction qui se contient, avec un début et une fin, Avatar : The Way of Water, s’avère être la superproduction la plus belle, la plus audacieuse et la plus impressionnante en termes de spectacle cinématographique vue ces dix dernières années. Le (très) long-métrage de 3h12 en met plein les mirettes ! Comme à l’accoutumée, les artisans du studio de post-production néo-zélandais Weta (la récente trilogie Planet of the Apes) ont élevé le niveau d’excellence jusqu’à atteindre des sommets paroxysmiques. Leur travail sur les effets spéciaux est, à ce titre, prodigieux et vaut à lui seul le déplacement. Avec ce deuxième épisode, James Cameron s’impose encore un peu plus comme un auteur majeur du cinéma populaire, l’un des seuls capables d’offrir un travail d’orfèvre au niveau industriel.


4. Triangle of Sadness



Passé maître dans l’art de provoquer le rire et le malaise via une succession de séquences de bravoure jouant à fond la carte du grotesque, à la lisière du grand-guignolesque, Ruben Östlund déroule avec panache une satire sarcastique et subversive qui dénonce la société du paraître et l’ultra-richesse au travers d’une lutte des classes jubilatoire et férocement décapante. Ecriture au vitriol, mise en scène au cordeau, montage au taquet, interprétations au diapason, cette tragi-comédie corrosive, impitoyable et impertinente se fout du politiquement correct et vous fait passer un grand moment de cinéma anar et iconoclaste. Une œuvre rock n’roll qui fait du bien et dénote dans un cinéma européen beaucoup trop sage.


5. Fire of Love



« C’est très dur, deux vulcanologues qui vivent ensemble. Parce que c’est très volcanique, donc franchement, ça fait des éruptions très souvent », rigole Maurice Kraftt à propos de sa relation strombolienne avec son épouse. Dans ce documentaire fascinant, Sara Dosa dresse le portrait du couple de scientifiques alsaciens Maurice et Katia Kraftt et tente de comprendre ce lien indéfectible qui unissait ces deux explorateurs trompe-la-mort. Elle, chimiste, et lui, géologue, s’aventuraient au plus près du danger pour étudier d’abord, et vulgariser ensuite, les phénomènes liés aux différents types de volcans qui reposent sur l’écorce terrestre. Fumerolles toxiques, lacs acides, coulées pyroclastiques, les images sorties des innombrables archives du tandem sont à couper le souffle. La réalisatrice construit son suspense sur le décès annoncé de la paire atypique en mêlant habilement les différents sujets associés : histoire d’amour, passion pour la vulcanologie, médiatisation de leurs recherches… Cette dernière signe un film à fois captivant dans son récit, usant malicieusement de métaphores et d’analogies dans un montage parfaitement découpé, et envoûtant par ses images d’une beauté et d’une force évocatrice inouïes. Visuel, didactique, épique cette odyssée aventureuse d’une vie tout bonnement singulière nous invite autant à la réflexion qu’à la pure contemplation.


6. The Batman



Mû par la passion envers son protagoniste, Matt Reeves s’escrime à offrir un grand rendez-vous cinématographique prenant l’allure d’une fresque dantesque. Un geste radical, majestueux et maîtrisé. Un tour de force narratif et visuel pour celui qui co-signe un récit des plus captivants. Pleinement convainquant, ce « feel-bat movie » nihiliste coche toutes les bonnes cases : une interprétation minimaliste et bluffante de Bat-tinson, une réalisation au rasoir à la fois hypnotisante et classieuse, une direction artistique d’une beauté et d’une créativité époustouflante, un scénario retors et astucieux, des comédiens investis, des scènes d’action chiches, mais impressionnantes, des effets spéciaux efficaces… Sombre, poisseux, fascinant, « The Batman » est une réussite. Le cinéaste aurait-il accouché de la meilleure version du héros au cinéma ?


7. Blonde



Andrew Dominik est un cinéaste rare. Chacune de ses fictions (Chopper, The Assassination of Jesse James by The Coward Robert Ford, Killing Them Softly) s’affiche dès lors comme un pur événement cinématographique aux yeux des cinéphiles. Alors quand l’Australien revient avec un long-métrage, qui plus est sur une icône du septième art, inutile de faire la fine bouche, on prend, même si sa nouvelle production ne passe pas par la case cinéma. Réfugié chez le streamer Netflix, le quinquagénaire a décidé d’esquisser un portrait déformant de la pin-up Marylin Monroe en se basant sur le best-seller « Blonde » paraphé Joyce Carol Oates. Résultat ? Un feel-bad movie par excellence. Le réalisateur signe une plongée en enfer virtuose dans la psyché cauchemardesque de Norma Jeane, brillamment interprétée par la bouleversante Ana de Armas, en lice pour l’Oscar. Du cinéma chiadé, parfois expérimental, toujours brillant, aux antipodes des biopics programmatiques qui alimentent une production hollywoodienne de plus en plus consensuelle.


8. Licorice Pizza



Hymne à l’amour à l’atmosphère mélancolique, ode à la jeunesse au charme rétro avec sa reconstitution vintage du plus bel effet, « Licorice Pizza » vous embarque dans une histoire farfelue prenant parfois le sentier de l’absurde, un peu fou voire foutraque par instant, mais toujours imprévisible et enivrant. Vous serez emporté par ce vent de liberté, par cette fougue juvénile qui caractérise de manière singulière cette romcom tendre et lumineuse. Ce n’est peut-être pas la panacée au marasme ambiant ni votre énième dose censée vous protéger du vilain Coco, mais c’est à coup sûr le remède idéal pour vous remettre d’aplomb. A prendre sans modération, en intraveineuse ou via un rail à sniffer, pour vous vacciner contre la sinistrose. En substance, la séance de rattrapage parfaite pour bien commencer 2023. Au point que le film devrait être remboursé par la sécurité sociale.


9. Everything Everywhere All at Once



Dans cet OFNI, tous les curseurs sont poussés au maximum : mise en scène virevoltante, montage savant, effets spéciaux ébouriffants, surjeu des acteurs, tout est over the top ! Mais contrairement à de nombreuses superproductions où les effets de manche parasitent l’essence du récit, ici, cette débauche esthétique vient nourrir le fond : problèmes de communication, clash culturel, fossé générationnel, relation mère-fille compliquée, couple dans le creux de la vague… Avec un budget serré de 25 millions de dollars, les Daniels (Kwan & Scheinert) ont dû faire preuve de créativité. Et cette inventivité se voit à l’écran. Il faut le voir pour le croire. Voir comment l’intime, la bouffonnerie et le spectaculaire se marient de manière improbable et ce, avec une efficacité qui laisse coi.


10. Close



Cinéaste de l’intime, Lukas Dhont fait montre d’une belle virtuosité dans ses choix de mise en scène. Une réalisation subtile et sensible qui laisse énormément de place à l’expression des émotions. Comme dans son précédent métrage (Girl, Caméra d’or à Cannes), le trentenaire opte pour les images et les ambiances plutôt que les dialogues et les explications. A travers une direction d’acteur maîtrisée, ce dernier travaille les postures, la gestuelle, les non-dits, les regards ainsi que les silences pour mieux rendre compte des tourments qui hantent ses protagonistes. Des rôles parfaitement campés par des comédiens d’une impressionnante justesse. Une copie réussie donc pour le prodige flamand qui parvient à déjouer le défi du deuxième film tout en dessinant une belle continuité dans son cinéma et ses thématiques de prédilection, ce qui fait de lui un auteur à part entière.

- Professeur Grant -

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