Une Part d'Ombre

David est un jeune père de famille comblé : une femme qu'il aime, deux jeunes enfants adorables, une bande de potes très soudée avec laquelle ils partent en vacances en tribu. Mais au retour de leur dernier séjour dans les Vosges, David est interrogé par la police dans le cadre d'un meurtre. Rapidement, l'enquête établit que David, sous des dehors irréprochables, n'avait pas une vie aussi lisse que ce qu'il prétendait. Le doute se propage et des clans se forment. 



Entre l’écriture d’un café serré, d’un scénario et d’un one-man show, Samuel Tilman trouve encore le temps de réaliser des films. Il réalise avec « Une part d’ombre » son tout premier long-métrage. Une façon pour le cinéaste belge de sortir de l’ombre, et ce, définitivement ?

Que penser du dernier film de Samuel Tilman ? Film sur le doute et la fragilité des relations, « Une part d’ombre » ose sortir des sentiers battus. Avant lui, d’autres films s’étaient aventurés sur la pente glissante du soupçon. Là où « Une part d’ombre » se démarque, c’est quand il choisit de ne pas révéler à l’audience si David (Rongione) est coupable ou innocent. Ce choix est aussi présent sur l’affiche du film qui montre une route sinueuse et le personnage principal représentant l’extrémité d’un point d’interrogation.

Filmer le doute et le soupçon, n’est-ce pas là une chimère ? Pas pour le réalisateur qui filme la suspicion qui se construit dans le regard des autres. Et à Fabrizio Rongione de devoir créer de l’empathie pour un personnage dont l’innocence reste encore à prouver.

En outre, le film renvoie aussi à la part d’ombre de chacun-e et au prisme de l’information. Ce n’est d’ailleurs pas une coïncidence si les enquêteurs ne sont jamais filmés. Les progrès de l’enquête nous sont dévoilés via la radio ou les journaux. 

Révélé dans « Rosetta », Fabrizio Rongione n’est plus à présenter. Cette année, il présidait avec brio la huitième cérémonie des Magritte du cinéma. 
À ses côtés, Baptiste Lalieu. Pour ses dix ans de carrière musicale, celui qui se fait appeler Saule s’offre une incursion réussie dans le monde du septième art. Au vu de la franche camaraderie pendant la rencontre au terme de la projection (les trois compères se sont connus sur les bancs de l’ULB/du conservatoire), ce n’est aucunement une surprise. 
Myriem Akheddiou (la compagne de Fabrizio Rongione), Erika Sainte et Natacha Régnier viennent gonfler les rangs du casting.

La musique mélancolique de Vincent Liben colle parfaitement au cadre enveloppant du film. Certaines scènes furent d’ailleurs tournées dans les Vosges.

Un seul bémol est à signaler : le casting secondaire (Christophe Paou et Natacha Régnier en tête) peine à renvoyer la balle à celui qui s’est imposé au fil des ans comme un des meilleurs acteurs de notre petit royaume.

Note : 
Critique : Goupil


Autre critique, autre point de vue :

I. Magritte en Absurdistan

La récente cérémonie des Magritte du cinéma a derechef prouvé ses limites. Comme à l’accoutumée, l’Académie André Delvaux a éprouvé les plus grandes difficultés à remplir ses catégories avec des nominés. En cause, la pauvreté quantitative de la production cinématographique belge francophone sur une année. Et la sempiternelle question du clivage linguistique de se poser : pourquoi se buter à organiser deux galas de pacotille (les Ensor pour la pellicule flamande) alors qu’on pourrait célébrer le septième art noir-jaune-rouge dans toute sa splendeur et dans toute sa diversité ?

Autrement dit, pourquoi faire compliqué alors qu’on pourrait faire simple ? Encore une belle preuve de surréalisme bien de chez nous. Laissons toutefois aux organisateurs cette belle lucidité d’avoir choisi l’illustre peintre bruxellois pour nommer leur événement sans queue ni tête. Bref, bienvenue en Absurdistan ! Mais cela ne doit pas nous empêcher d’accueillir à bras ouverts toute production belgo-belge. L’accueil chaleureux du public étant la plus belle reconnaissance qu’on puisse donner à un film d’auteur. Dernier en date, le premier long-métrage signé Samuel Tilman, « Une part d’ombre ».

II. Sous des dehors irréprochables…

En deux mots, l’histoire se concentre sur le personnage de David (Fabrizio Rongione), un jeune père de famille comblé : une femme qu’il aime (Natacha Régnier), deux jeunes enfants adorables, une bande de potes (Saule fait ses premiers pas à l’écran) très soudée avec laquelle celui-ci part en vacances régulièrement. Mais au retour de leur dernier séjour dans les Vosges, ce dernier est interrogé par la police dans le cadre d’un meurtre. Rapidement, l’enquête établit que David, sous des dehors irréprochables, n’avait pas une vie aussi lisse que ce qu’il prétendait. Le doute se propage, les langues se délient et des clans se forment.

Au moyen d’un récit sagace et affûté, le réalisateur bruxellois parvient à tisser un véritable suspense psychologique sur la question du soupçon et du doute. D’ailleurs, la force de son scénario réside dans sa capacité à impliquer directement le spectateur, lequel se projette dans cette affaire et se questionne constamment sur son propre regard. Juge-t-il le protagoniste coupable ? Est-il innocent ? Comment faut-il interpréter les éléments mis à sa disposition ? L’auteur, équilibriste hors pair, veillant bien à faire de David une personne ni tout à fait fautive, ni entièrement irréprochable. Ainsi, chaque geste du personnage principal peut être interprété à charge ou à décharge.

III. Ostracisme

La question posée est passionnante : comment réagirait un groupe d’amis à la mise en examen pour meurtre de l’un des leurs ? Parallèlement à cette interrogation, c’est toute la notion de l’image de l’autre et de l’ostracisme qui ont nourri l’écriture du cinéaste. « Mon point de départ : dans un fait divers, quand on n’a pas d’éléments objectifs pour juger autrui, notre jugement se nourrit de considérations morales. C’est le cas de tous les personnages de mon film. Et j’espère que ça sera le cas des spectateurs que je veux faire douter de la même manière jusqu’au bout ». Et le pari est réussi !

Et il fallait bien le concours d’un extraordinaire Fabrizio Rongione pour faire du protagoniste une figure dès plus ambiguës. Rarement, on aura vu un comédien autant semer le doute autour d’un personnage suspecté de meurtre. Face aux suspicions des forces de l’ordre, face à la perplexité voire la défiance de certains proches, David tente cahin-caha de rester imperturbable. Car chaque geste, parole, regard est soumis à l’interprétation et au jugement. De cette manière, Samuel Tilman ausculte autant les normes morales de la société que les règles comportementales tacites d’un groupe d’amis.

Nonobstant quelques longueurs et un suspense qui se ramollit fortement dans la seconde moitié du film, « Une part d’ombre » s’affiche comme un drame psychologique de très bonne tenue.

Note: 

Critique: Professeur Grant

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